Présentation

Politique éditoriale

Psychologies, Genre et Société est une revue scientifique féministe à comité de lecture (peer review). Elle propose un espace de diffusion et de réflexion critique concernant les questions psychologiques relatives aussi bien à la santé mentale qu’aux relations sociales ordinaires.

Plus précisément, elle entend aborder les enjeux politiques associés à la psychologie dans une société façonnée par des rapports sociaux de genre qui s’imbriquent eux-mêmes avec d’autres rapports de domination tels que ceux fondés sur la classe, la race, l’orientation sexuelle, l’âge, etc. Seront alors publiés des articles s’inscrivant dans au moins l’une de ces deux perspectives :

  • L’élaboration d’analyses critiques sur les enjeux idéologiques qui sous-tendent les savoirs scientifiques et les pratiques institutionnelles ;

  • La production de connaissances et de pratiques contribuant à l’effort de transformation du social et d’amélioration de la vie des groupes dominés, pour lutter contre le statu quo.

En outre, il ne s’agit pas de créer une revue de psychologie mais une revue sur la psychologie. La transdisciplinarité est donc au cœur de sa ligne éditoriale : il est question d'accueillir, par-delà la psychologie en tant que discipline, tout autre domaine issu des sciences humaines et sociales, des sphères professionnelles et des milieux militants dans la perspective de produire un regard pluriel sur les questions psychologiques.

Contexte scientifique retenu

Le projet féministe de la revue pourrait s’inscrire dans plusieurs contextes scientifiques et historiques. Nous avons cependant décidé de nous ancrer dans un contexte spécifique : celui de la critique féministe de la psychologie et du développement de la psychologie féministe.

Le féminisme interagit avec la psychologie à partir des années 1960 et 1970 aux États-Unis, au sein d'un contexte où l’expertise psychologique sur les comportements humains est en pleine expansion dans la pratique clinique et dans les politiques publiques (Pache, 2016). Ce contexte est rapidement posé comme un problème pour nombre de féministes en raison des savoirs sexistes et misogynes qui sous-tendent nombre de discours et de pratiques psychologiques (Morawski & Agronick, 1991 ; Pache, 2015 ; Sturdivant, 1983) : essentialisation des phénomènes psychiques en lien avec les rôles et les rapports de genre, approches psychothérapeutiques occultant les violences sexistes et sexuelles, existence de biais androcentriques dans la production des théories et des méthodes scientifiques, etc. Plusieurs psychologues féministes ont alors souligné que la non prise en compte du lien entre la production scientifique et les valeurs sociales dominantes en psychologie conduit inévitablement à reproduire les rapports sociaux de pouvoir entre les genres et à déformer les expériences des femmes en se référant à des normes masculines dans la définition du normal et du pathologique (Burman, 1990 ; Wilkinson, 1991). Le diagnostic n’est donc pas seulement descriptif, il est prescriptif et a été pensé comme une manière de distinguer le normal du pathologique et de légitimer une intervention normalisante (Jutel, 2009 ; Moncrieff, 2010). 

Par ailleurs, la question de la dépathologisation a été au cœur des luttes des minorités sexuelles et de genre. Malgré la suppression de l’homosexualité du DSM en 1973, le renoncement à la lecture pathologisante d’une catégorie ne fait pas pour autant disparaître les biais oppressifs qui l’ont sous-tendue. Ainsi, plusieurs auteur·ices montrent que l’hétéronormativité tacite qui structure les théories et pratiques en psychologie conduit souvent les professionnel·les à travailler de manière inappropriée avec les personnes lesbiennes, gaies ou bisexuelles (Barker, 2007 ; Fell et al., 2008). Toutefois, à la différence de l’orientation sexuelle qui fut retirée du DSM, l’édition suivante de ce manuel diagnostic psychiatrique intègrera de nouvelles catégories relatives aux identités de genre atypiques (« Transsexualisme » et « Trouble de l’Identité de Genre chez l’enfant »). La dépathologisation d’une orientation sexuelle atypique se fait donc aux dépens de la psychiatrisation des identités non cisgenres (Sedgwick, 1991). 

C’est dans ce contexte scientifique que des féministes et des psychologues féministes ont effectué un examen critique de la psychologie en vue de proposer de nouvelles épistémologies et méthodes de recherche (par exemple Henwood, 1993 ; Landrine, et al., 1992 ; Peplau & Conrad, 1989 ; Rutherford et al., 2010 ; Ussher, 1999 ; Wilkinson & Kitzinger, 1995). Par opposition aux approches mainstream qui prônent la neutralité scientifique, leur approche s’inscrit dans une démarche féministe visant à penser la psychologie en lien avec les structures de domination. 

Le dialogue entre le féminisme, les études de genre et la psychologie n’a cessé de se poursuivre dans le contexte scientifique international, et ce jusqu’à aujourd’hui. Dans le contexte américain, la psychologie féministe s’est fortement institutionnalisée à travers la création de l’Association for Women in Psychology et, au sein de l’American Psychological Association, la création du Committee on Women in Psychology et de la Society of the Psychology of Women (pour une description détaillée, voir Chrisler & McHugh, 2011). Par ailleurs, il existe une offre importante de revues scientifiques qui s’inscrivent à la fois dans le domaine de la psychologie et dans les études de genre tout en affichant une ligne éditoriale féministe : Feminism & Psychology, Sex Roles, Psychology of Women Quarterly, Violence Against Women, Journal of Feminist Family Therapy, Men and Masculinities, ou encore Journal of Gay and Lesbian Mental Health... pour ne citer que quelques-unes d'entre elles. 

Cette prolifération internationale n’a cependant eu qu’une répercussion limitée dans le contexte francophone, où les approches féministes sont encore peu présentes dans les milieux scientifiques et professionnels en lien avec la psychologie. Il n’existe actuellement aucun espace éditorial francophone exclusivement dédié aux recherches féministes sur la psychologie. L’intérêt pour ces enjeux théoriques et politiques commence néanmoins à émerger. La revue Psychologies, Genre et Société souhaite s’inscrire dans la continuité du dialogue initié entre féminisme et psychologie dans le contexte francophone. Elle propose un espace de discussion entre les milieux académiques, professionnels et militants qui sont traversés par ces thématiques.

Aspirations et positionnements

Le genre comme système produisant des rapports de pouvoir

Tout d’abord, nous entendons le genre comme le système qui produit des rapports de pouvoir entre le groupe des hommes, celui des femmes et d’autres groupes sociaux. L’androcentrisme — le masculin comme référentiel — qui est constitutif de ce système, a conduit à une représentation sociobiologique de présumées différences de genre ayant trait à la féminité et à la masculinité. Ces prétendues différences de genre viennent ainsi légitimer et asseoir l’exercice, par le groupe des hommes, d’un pouvoir économique, social, politique et familial sur les femmes dans les sphères publiques et privées.

Dans la perspective de se défaire d’une conception différentialiste et essentialiste du genre qui demeure prédominante en psychologie, nous valorisons des productions sur les questions psychologiques qui considèrent le genre à travers une ou plusieurs des quatre dimensions mises en lumière par Bereni et al. (2012, 2020) : 

  • Le genre comme construction sociale variant selon les époques et les localités sociales ;

  • Le genre comme opposition relationnelle entre le groupe des hommes et celui des femmes ;

  • Le genre comme rapport de pouvoir structuré par un système de bi-catégorisation hiérarchisée entre les genres et l’exploitation matérielle découlant de cette hiérarchisation ;

  • Le genre comme rapport imbriqué à d’autres rapports de pouvoir tels que ceux liés à la race, l’âge, la classe sociale, la sexualité, etc.

Dévoiler l’entrelacement du genre aux autres rapports sociaux 

Ce système de genre, androcentrique et asymétrique, génère des valeurs sociales différentes et inéquitables des identités et des rapports sociaux. Toutefois, d’autres rapports de pouvoir produisent de multiples autres oppressions, faisant du genre un rouage parmi d’autres à traiter pour comprendre l’ensemble enchevêtré des diverses et nombreuses inégalités et antagonismes sociaux existants. Afin de saisir la complexité de leurs racines, nous encourageons les analyses intersectionnelles visant à appréhender les divers rapports de pouvoir qui forgent les sociétés discriminantes et injustes. Elles doivent permettre de mieux comprendre comment les différentes formes de privilège et de marginalisation qui structurent la vie sociale influencent la vie psychique des personnes.

Nous parlons d’imbrication, mais il s’agit surtout de considérer et comprendre les rapports sociaux à la fois dans leur spécificité et dans leur co-construction. Cette perspective revient à penser l’intersectionnalité comme une catégorie d’analyse critique, en allant au-delà de la tendance de la psychologie à réduire les catégories sociales à des variables statistiques. Pour ce faire, nous encourageons le recours à des épistémologies et des méthodologies situées.

Ouverture méthodologique et positionnement situé

Nous invitons à concevoir la méthode dans une acception plus large que celle des descriptions purement procédurales et techniques. Cette conception inclut par conséquent une réflexivité fondée sur la transparence de la mise en œuvre des outils méthodologiques ainsi que des positionnements politiques et épistémologiques. Cette réflexivité peut par exemple passer par la critique des approches dominantes dans le champ d’inscription, mais également, par un retour analytique en ce qui concerne l’influence de nos choix épistémologiques, théoriques, méthodologiques et interprétatifs. Dans cette même dynamique et lorsque cela s’avère pertinent, nous valorisons les contributions qui développent un positionnement situé (pratique, expérience et trajectoire de vie, socialisation spécifique, etc.).

Transdisciplinarité et horizontalité des savoirs

Dans l’effort de constituer un véritable carrefour de discussions internationales sur et autour des questions psychologiques, la revue veillera à publier des contributions diversifiées et produites à partir de différentes localités et positionnements. Ainsi, cette revue s’adresse aux chercheur·euses de toutes les disciplines issues des sciences humaines et sociales ; mais aussi, au-delà de toute discipline, à toute institution, collectif ou personne issues des milieux professionnels, associatifs ou militants. Nous souhaitons donc dépasser la hiérarchisation des savoirs en essayant, autant que possible, de tendre vers la construction d’une revue à la croisée des connaissances et pratiques professionnelles, militantes et scientifiques.

Bibliographie

Barker, M. (2007). Heteronormativity and the exclusion of bisexuality in psychology. In V. Clarke & E. Peel (Eds.), Out in Psychology: Lesbian, Gay, Bisexual, Trans, and Queer Perspectives (pp. 86–118). Wiley. 

Bereni, L., Chauvin, S., Jaunait, A., & Revillard, A. (2020). Introduction aux études sur le genre. De Boeck.

Burman, E. (1990). Feminists and Psychological Practice. Sage. 

Chrisler, J. C., & McHugh, M. C. (2011). Waves of feminist psychology in the United States: Politics and perspectives. In A. Rutherford, R. Capdevila, V. Undurti, & I. Palmary (Eds.), Handbook of international feminisms. International and cultural psychology (pp. 37–58). Springer. 

Fell, G. R., Mattiske, J. K., & Riggs, D. W. (2008). Challenging heteronormativity in psychological practice with lesbian, gay and bisexual clients. Gay & lesbian Issues and Psychology Review, 4(2), 127–140. 

Jutel, A. (2009). Sociology of diagnosis: a preliminary review. Sociology of Health & Illness, 31(2), 278–299. 

Henwood, K.L. (1993) Epistemology, methodology and feminist psychology. The British Psychological Society: Psychology of Women Newsletter, 1, 1–11. https://doi.org/10.1037/a0037372

Landrine, H., Klonoff, E. A., & Brown-Collins, A. (1992). Cultural diversity and methodology in feminist psychology. Psychology of Women Quarterly, 16, 145–163. https://doi.org/10.1037/a0037372

Moncrieff, J. (2010) Psychiatric diagnosis as a political device. Social Theory Health, 8, 370–382. https://doi.org/10.1057/sth.2009.11

Morawski, J. G., & Agronick, G. (1991). A restive legacy: The history of feminist work in experimental and cognitive psychology. Psychology of Women Quarterly, 15(4), 567–579. https://doi.org/10.1111/j.1471-6402.1991.tb00431

Pache, S. (2015). Politiser la psychologie : histoire d’une théorie féministe de la pratique psychothérapeutique (États-Unis, 1960-2015). Thèse de doctorat de 3ème cycle, Université de Lausanne. 

Pache, S. (2016). Entre science et politique : la question épistémologique dans l’histoire de la psychologie féministe. Recherches féministes, 29(1), 33–50. http://doi.org/10.7202/1036668ar

Peplau, L. A., & Conrad, E. (1989). Beyond nonsexist research: The perils of feminist methods in psychology. Psychology of Women Quarterly, 13(4), 379–400. https://doi.org/10.1111/j.1471-6402.1989.tb01009.x

Rutherford, A., Vaughn-Blount, K., & Ball, L. C. (2010). Responsible opposition, disruptive voices. Psychology of Women Quarterly, 34(4), 460–473. https://doi.org/10.1111/j.1471-6402.2010.01596.x

Sedgwick, E. K. (1991). How to Bring Your Kids up Gay. Social Text, 29, 18–27. http://doi.org/10.2307/466296

Sturdivant, S. (1983). Les femmes et la psychothérapie : une philosophie féministe du traitement. Mardaga. 

Ussher, J. (1999). Feminist approaches to qualitative health research. In M. Murray & K. Chamberlain (Eds.), Qualitative Health Psychology (pp. 98–114). Sage. 

Wilkinson, S. (1991). Feminism and psychology: From critique to reconstruction. Feminism & Psychology, 1(1), 5–18. https://doi.org/10.1177/095935359101100

Wilkinson, S., & Kitzinger, C. (1995). Feminism and discourse : Psychological perspectives. Sage.

Droits d’auteur·ices

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