Introduction
Selon les études et les manières de se définir, les lesbiennes représenteraient entre 1 % et 4 % de la population soit entre 674 000 et 2,6 millions de personnes en France (Bajos et Bozon, 2008 ; Ifop, 2014). La proportion de femmes déclarant avoir déjà eu des relations sexuelles avec une personne de même genre au cours de la vie est en augmentation (Bajos et al., 2013), même si se dire lesbienne relève d’un processus catégoriel qui dépasse les pratiques sexuelles (Chetcuti, 2013).
La population lesbienne est particulièrement sujette à des problèmes de santé mentale (de Miguel et al., 2018 ; Genon et al., 2009). Il peut s’agir de troubles bipolaires ou dépressifs, d’idéations ou de comportements suicidaires, de troubles dans l’usage du tabac ou de l’alcool (Edwards et van Roekel, 2009). En Europe, les lesbiennes ont un risque plus élevé d’avoir des idéations suicidaires (41 %) et de faire des tentatives de suicide (17 %) que les femmes hétérosexuelles (respectivement 17 % et 4 %) (EuroCentralAsian Lesbian* Community, 2021). La faible reconnaissance légale des couples de même genre affecte négativement la stabilité des LGB et le bien-être de leurs enfants (Valfort, 2017). De manière générale, les personnes lesbiennes, gaies ou bisexuelles sont également moins satisfaites de leur vie que les personnes hétérosexuelles (OCDE, 2019b).
Ces données de santé mentale peuvent être expliquées par différents facteurs. En effet, les femmes lesbiennes subissent une double discrimination (a minima), c’est-à-dire une discrimination de genre et une discrimination liée à l’orientation sexuelle. Les oppressions sociétales ont un potentiel traumatisant qui peut impacter les victimes à la fois cognitivement, affectivement, somatiquement ou au niveau relationnel ou du comportement, et de nombreuses personnes sont confrontées à des traumatismes multiples du fait des divers rapports de domination qu’elles subissent (Bryant-Davis, 2007). Les discriminations perçues vont notamment entrainer des affects dépressifs, du stress, de l’anxiété et l’utilisation de drogue ou d’alcool pour faire face (Ngamake et al., 2016). Il peut être délicat d’évaluer avec justesse l’ampleur des discriminations endurées et leur impact car certaines peuvent être cachées et non détectées par les victimes ou encore ne pas être perçues comme préjudiciables afin de préserver l’intégrité (Meyer, 2003). Néanmoins, il est clair que les lesbiennes sont à la fois affectées par les discriminations à l’égard de la communauté LGBTQIA+ (Lesbienne, Gay, Bi·e, Trans, Queer, Intersexe, Asexuel·le…) et les cibles de crimes visant à les punir en tant que femmes qui ne répondent pas aux attentes sociétales, aux rôles de genre et aux standards de la féminité (EuroCentralAsian Lesbian* Community, 2021). L’hétéronormativité structure la société en établissant des normes qui placent l’hétérosexualité comme modèle de référence et comme présupposé implicite (Mellini, 2009). Les femmes qui n’ont pas de relations avec des hommes sont considérées comme malades, anormales, ne pouvant pas avoir une vie sexuelle épanouie. Ces croyances sont à la base du harcèlement sexuel et de la violence à l’encontre des lesbiennes qui peuvent mener au viol correctif ou au meurtre (EuroCentralAsian Lesbian* Community, 2021).
Un autre facteur potentiellement associé aux problèmes de santé mentale est le soutien social. Ainsi, la notion d’« identité horizontale » introduite par Andrew Solomon (2012) permet de comprendre que contrairement à d’autres types de discriminations (liées à la race par exemple), une personne non hétérosexuelle ne trouvera pas, dans la majorité des cas, au sein de sa famille proche des personnes vivant ces mêmes oppressions et pouvant l’aiguiller, l’armer ou la réconforter.
L’invisibilisation particulière vécue par les lesbiennes (Genon et al., 2009) rend d’autant plus forte la présomption d’hétérosexualité à leur sujet. On leur accorde peu de place dans les médias, leur sexualité est niée ou caricaturée et ce manque de représentation favorise les stéréotypes (AJLGBT, 2023). Également, les violences et discriminations subies peuvent amener à ne pas dire ou à cacher son lesbianisme (Faniko et al., 2018), ce qui peut effectivement protéger mais aussi engendrer du stress et éloigner d’un soutien communautaire potentiel (Pachankis et al., 2020). A ce titre, le modèle du stress minoritaire ajoute à la dissimulation de l’orientation sexuelle d’autres stresseurs spécifiques comme les discriminations vécues, le fait de s’attendre à être rejeté·e ou encore l’hétérosexisme (juger l’hétérosexualité comme seule modalité normale et acceptable) internalisé (Hoy-Ellis, 2021) qui vont à leur tour impacter les interactions avec l’environnement.
Par ailleurs, dans une société hétérosexiste, le coming out (dévoilement de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle de la personne) s’avère souvent nécessaire pour signifier sa non-hétérosexualité ou le fait de ne pas être cisgenre (être en adéquation avec le genre assigné à la naissance ; Hasmanová Marhánková, 2019). Pourtant, il ne s’agit pas d’un évènement qui a lieu une fois pour toutes.
Dans le cadre amical comme dans celui du travail, on peut dévoiler d’abord son orientation sexuelle à une personne puis une autre, élargissant progressivement le cercle des personnes au courant. Et une structure de travail tout comme un groupe d’ami·e·s évoluent au cours du temps, des personnes partent et d’autres arrivent ou on change soi-même d’entreprise ou de relations. Le dévoilement peut donc s’en trouver continuellement renouvelé (Goffman, 1963), sans parfois savoir qui est au courant ou non (Chetcuti, 2013). Également, certaines tâches administratives (impôts, allocations familiales…) ou rapports avec des institutions (accueil et scolarisation des enfants…) peuvent amener à faire un coming out (Cloughessy et al., 2018 ; Land et Kitzinger, 2005). Pour ce qui est des soins médicaux, en France en 2017 la moyenne était de six consultations par an et par personne (OCDE, 2019a). S’il est possible de consulter le ou la même médecin généraliste pendant des années, consulter des spécialistes ou être hospitalisé·e peut amener à rencontrer de nouveaux pourvoyeurs ou pourvoyeuses de soin et la question du coming out se pose alors.
Pour chacune de ces nouvelles rencontres ou interactions il faut donc se poser la question de comment mettre en œuvre le coming out (Morand, 2017). Ainsi, le premier coming out au cercle familial et amical proche, le coming out dans le cadre d’un parcours de soin, le coming out dans le monde professionnel et dans une moindre mesure le coming out aux institutions ainsi que leurs effets sur la santé mentale ont été étudiés indépendamment les uns des autres chez les lesbiennes, gays, bi·e·s et trans et souvent sans que ces populations soient différenciées alors que leurs vécus sont de fait différents.
Par ailleurs, le premier coming out aux proches est décrit par Ryan et al. (2015) comme l’un des évènements les plus stressants auquel les lesbiennes, bi·e·s et gays doivent faire face dans leur vie (avec des risques à court terme de harcèlement, d’agressions et de conduites suicidaires) du fait de la peur de heurter ses proches et des ressources limitées de coping (Charbonnier et Graziani, 2016). Nous pouvons donc légitimement nous demander ce que les coming outs qui suivent, éventuellement moins structurants (Charbonnier et Graziani, 2016) mais de fait plus réguliers et cumulés, ont comme conséquences sur la santé mentale des individu·e·s. Ces conséquences pouvant être également positives avec une diminution de l’anxiété dans le cadre du travail notamment (Griffith et Hebl, 2002).
L’objectif de cette revue narrative est d’étudier les coming outs et leur récurrence chez les lesbiennes adultes et plus particulièrement les impacts que ces dévoilements de l’orientation sexuelle peuvent avoir sur la santé mentale. Circonscrire cette revue aux lesbiennes adultes est pertinent dans la mesure où elles font face à des discriminations et des positionnements spécifiques qui vont impacter leur santé mentale d’une manière nécessairement particulière même si de fait de nombreuses études concernent également les personnes bisexuelles ou gays, soulignant à nouveau l’invisibilisation des lesbiennes, dont les vécus propres ne sont pas investigués. Nous avons donc réalisé une revue narrative de la littérature sur les liens entre coming outs et santé mentale des lesbiennes adultes.
Méthode
La recherche de textes a été effectuée sur des bases de données telles que PubMed, Google Scholar ou Cairn. Dans un premier temps, les mots clefs utilisés ont été « coming out » et « lesbienne » mais au vu du nombre important de résultats en anglais et/ou de textes portant sur les populations lesbiennes, gays, bies et trans confondues les mots clefs suivants ont aussi été employés : « lesbian », « LGBT », « LGB » ou encore « disclosure ».
Ont été sélectionnés les textes traitant des coming outs liés à l’orientation sexuelle ou des processus associés et publiés entre 1990 et 2022 afin d’avoir un contenu relativement récent. Ont été exclus les textes portant uniquement sur la population gay et/ou bisexuelle.
Quarante-sept textes ont finalement été retenus (voir Annexe). Ils ont été publiés entre 1997 et 2021 en français ou en anglais. Trente-huit sont des articles scientifiques, quatre sont des ouvrages, deux sont des rapports d’enquête, deux sont des communications scientifiques issues de conférences, et un est une thèse de doctorat. Vingt-quatre utilisent une méthode quantitative, douze une méthode qualitative, trois sont des revues de la littérature, trois ont une méthodologie mixte, et deux sont des méta-analyses.
Onze de ces textes portent sur la population française, les autres étant internationaux avec une large part états-unienne (quinze). Quatorze concernent la population LGBTQ+, douze exclusivement la population lesbienne, dix la population LGB, huit les gays et lesbiennes, deux font une comparaison entre la population hétérosexuelle et non-hétérosexuelle et un porte sur les lesbiennes et bisexuelles.
Résultats et discussion
Les coming outs, enjeux identitaires et de santé
La littérature scientifique s’est intéressée au coming out mais principalement circonscrit à un ou deux domaines de la vie et pas dans une perspective « vie entière ». Le coming out est pourtant reconnu dans plusieurs publications (Brotman et al., 2002 ; Kranz et Pierrard, 2018 ; Ryan et al., 2015) comme un processus, plus qu’un évènement unique, qui a lieu lorsque de nouvelles relations ou situations sont rencontrées. Il y aurait chez les gays et lesbiennes en moyenne trois possibilités de dévoilement de l’orientation sexuelle toutes les deux semaines (Ryan et al., 2015).
Ce qui se joue dans ces dévoilements c’est la possibilité de pouvoir être soi-même dans la relation à l’autre (Ryan et al., 2015), de ne pas passer sous silence certains aspects de sa vie (amoureuse, familiale, sexuelle, amicale ou sociale) par peur, même si se dire lesbienne c’est également prendre le risque de contredire l’image que les autres avaient projeté sur soi (Morand, 2017) et de voir son identité réduite à cette dimension (Chetcuti, 2013). De plus, cacher son orientation sexuelle est corrélé positivement avec le développement de problèmes de troubles anxieux et de l’humeur, de troubles des conduites alimentaires, de conduites à risques et suicidaires et avec le risque de développer une maladie somatique (Brotman et al., 2002 ; Pachankis et al., 2020). Cela souligne l’importance de considérer ces aspects plus sociologiques et/ou politiques dans la clinique.
Ainsi, la notion de « bien-être psychosocial » évoquée par Kranz et Pierrard (2018) permet d’appréhender le bien-être général ressenti par l’individu·e associé au stress minoritaire qu’il ou elle peut également plus ou moins éprouver. Le stress minoritaire correspond à l’expérience de discrimination, à la vigilance à la discrimination et à l’homophobie/la lesbophobie intériorisée, cette dernière étant le degré d’intériorisation des attitudes homophobes/lesbophobes de la société majoritairement hétérosexuelle dans laquelle les personnes gaies ou lesbiennes vivent. Ainsi, la perception de son environnement comme étant hostile ou non à son orientation sexuelle va impacter le bien-être de l’individu·e et peut modifier la manière dont l’individu·e vit sa non-hétérosexualité (Kranz et Pierrard, 2018).
Ces différentes modalités vont influer sur les décisions de dévoiler son orientation sexuelle selon l’évaluation des gains et des pertes potentielles propres à chaque situation et des ressources internes et externes de l’individu·e (Legate et al., 2012 ; Sabat et al., 2014). Par exemple, des ressources psychosociales nombreuses et une vie lesbienne communautaire épanouie vont favoriser la probabilité de dévoilement de l’orientation sexuelle auprès de pourvoyeurs ou pourvoyeuses de soins alors que la lesbophobie internalisée va la diminuer (Austin, 2013). Par ailleurs, une stratégie de coping efficace est d’avoir la conviction profonde qu’être lesbienne est respectable (Bjorkman et Malterud, 2012). Dans l’espace professionnel, avoir un sentiment identitaire lesbien fort et la conviction de pouvoir faire face à de potentielles discriminations font souvent partie des éléments qui rendent possible le coming out (Chetcuti, 2013 ; Laurent et Mihoubi, 2019), ainsi que la propension à la prise de risques, la motivation, les protections légales ou encore le climat de discrimination organisationnel (Clair et al., 2005).
Plus spécifiquement, le fait de faire son coming out va également avoir des conséquences particulières en fonction de l’environnement dans lequel il est effectué et donc de la place que l’individu·e occupe dans cet environnement. Faire son coming out n’est pas juste un choix personnel car cela s’inscrit dans un contexte social et politique souvent hostile (Brotman et al., 2002).
Coming outs au travail
Le coming out au travail a des impacts très concrets sur l’accès à l’emploi ou le traitement au travail (harcèlement ou violences par exemple). Il faut savoir que 25 % des lesbiennes y cachent leur orientation sexuelle, 38 % n’ont fait leur coming out qu’à seulement quelques personnes de leur entreprise (Boston Consulting Group, 2020) et 20 % déclarent s’y sentir discriminées (Fric, 2016). Par ailleurs, 34 % des lesbiennes considèrent leur orientation sexuelle comme un désavantage en entreprise, 13 % mentent sur le genre de leur partenaire ou prétendent être célibataire et 30 % évitent de préciser le genre de leur partenaire. Les raisons qui empêchent les LGBTQ+ de faire leur coming out en entreprise sont la peur d’une incidence négative sur leur carrière, l’absence ou le faible nombre d’autres LGBTQ+ ou l’impression que la structure n’est pas favorable aux LGBTQ+ (Boston Consulting Group, 2020). Ainsi, dans les entreprises où les politiques et pratiques génèrent de la confiance, les employé·e·s sont plus susceptibles de révéler leur identité minoritaire (Capell et al., 2017 ; Griffith et Hebl, 2002 ; Wax et al., 2018).
L’expression de genre des lesbiennes et sa plus ou moins grande conformité aux stéréotypes de « la lesbienne » ont également un impact sur la décision de faire son coming out en entreprise et sur les réactions qui s’en suivent. Ainsi, les lesbiennes butchs (reprenant certaines caractéristiques de la masculinité hégémonique et donc conformes au stéréotype lesbien) seront moins susceptibles de dévoiler leur identité car auront le sentiment que celle-ci est déjà perçue par leur environnement. Par ailleurs, les lesbiennes fems (correspondant plus à ce qui est attendu des femmes par la société), après annonce de leur lesbianisme auront moins de réactions négatives que les lesbiennes butchs car elles sont moins crues du fait de la présomption d’hétérosexualité qui est plus forte les concernant (Hamilton et al., 2019).
Dans le cadre professionnel, les personnes LGBT1 ont trois stratégies possibles pour faire face aux discriminations : opter pour un environnement de travail « LGBT friendly » si c’est possible, cacher leur identité LGBT (« passing » en fabriquant de fausses informations ou en cachant volontairement sa vie privée ou en faisant preuve de discrétion — évitement —) ou bien accepter d’être confronté·e aux discriminations plus ou moins frontalement en révélant son identité (avec ambiguïté, en normalisant sa différence ou en se différenciant de la norme) (Clair et al., 2005 ; Ng et al., 2012). Mais cacher son identité isole, réduit l’efficacité au travail (Clair et al., 2005), et amène du stress et de l’anxiété (Day et Schoenrade, 1997). Cela impose aussi d’éviter toute discussion intime ou au sujet de l’homosexualité ou du lesbianisme, avec la peur constante de l’outing (révélation de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre d’une personne par un tiers sans son consentement) (Chetcuti, 2013) alors que se révéler peut permettre de construire des relations plus proches au travail (Clair et al., 2005) ou d’avoir le sentiment d’être un modèle pour d’autres LGBTQ+ dans le placard (Morand, 2017). Travailler dans un environnement qui permet le dévoilement de l’orientation sexuelle est associé à une plus grande satisfaction au travail, un bien-être psychologique accru et une volonté de rester dans la structure (Faniko et al., 2018).
Par ailleurs, la parole homosexuelle et lesbienne peut être vécue comme illégitime dans l’entreprise par les lesbiennes et gays et il peut arriver que des aspects administratifs ou de sociabilité engendrent l’outing des employé·e·s (Morand, 2017). La peur de devenir une « caution LGBT » (token) pour l’entreprise ou de voir sa crédibilité remise en question sur certains sujets font aussi partie du récit d’employé·e·s LGBT dans le milieu universitaire notamment (Prock et al., 2019). Aussi les entreprises sont hétéronormatives, à l’image de la société et à ce titre l’hétérosexualité reste la norme et l’homosexualité doit être annoncée pour être considérée comme une possibilité. Pour se dire lesbiennes, les personnes concernées doivent sortir de l’innommable, de l’invisible (Chetcuti, 2013).
Coming outs et parcours de soins
Dans le cadre d’un parcours de soins, le coming out peut avoir un impact sur la santé des personnes concernées. Selon Brotman et al. (2002), une large part des pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins a une réaction négative lors du dévoilement de l’orientation sexuelle d’une personne. Certain·e·s vont refuser de soigner ou mal soigner ces personnes ou encore pathologiser leur orientation sexuelle. À noter que l’homosexualité était considérée comme un trouble mental par la Classification Internationale des Maladies (CIM) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) jusqu’en 1992 (Chiche, 2013). Toujours selon Brotman et al. (2002), les gays et lesbiennes peuvent donc éviter les rendez-vous médicaux par peur de devoir révéler cette orientation. Par ailleurs, les femmes attirées par des femmes2 choisissent leur médecin généraliste selon différents critères : attitudes à l’égard de l’homosexualité, discours hétéronormé mais aussi traitement du corps des femmes (Edwards et van Roekel, 2009) car les dimensions de genre et d’orientation sexuelle sont intriquées.
D’après une revue systématique de Brooks et al. (2018), les barrières et facilitateurs du coming out dans un contexte de soins sont : l’impression que c’est pertinent ou non de parler de son orientation sexuelle, la communication et le langage utilisé·e·s par les pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins et la peur d’être mal soigné·e ou d’une réaction négative suite au dévoilement de l’orientation sexuelle. De plus, la présomption d’hétérosexualité ne permet pas une prise en charge appropriée par méconnaissance ou parce que certain·e·s praticien·ne·s de santé jugent l’orientation sexuelle des lesbiennes ou bies comme insignifiante. Les lesbiennes ou gays peuvent se voir refuser l’accès à la chambre d’hôpital de leur compagne ou compagnon. Il y a par ailleurs quatre stratégies de coming out auprès des médecins : choisir un·e praticien·ne de santé sensibilisé·e aux questions gaies et lesbiennes et mettre cette personne au courant, se dévoiler inopinément car la situation le nécessite, planifier de se dévoiler à un moment et ne pas se dévoiler du tout. Selon Toulze (2020), une personne LGBTI (Lesbienne, Gaie, Bie, Trans, Intersexe) sur deux a déjà ressenti des discriminations dans le cadre d’un parcours de soins.
Coming outs auprès des institutions
Les diverses institutions peuvent également amener à dévoiler son identité par exemple lorsque les formulaires administratifs ne sont pas inclusifs ou qu’une structure comme une crèche prend en charge les enfants d’un couple non hétérosexuel, la présomption d’hétérosexualité étant très forte dans le cadre institutionnel (Land et Kitzinger, 2005). Ainsi, dans une étude de Cloughessy et al. (2018), il a été montré que le coming out aux structures de la petite enfance est utilisé par les couples de lesbiennes comme un test pour choisir là où elles inscriront leur enfant. La décision de se dévoiler est également prise pour résister au secret et à la honte, pour montrer l’exemple aux enfants et favoriser leur résilience, pour faire changer les comportements hétéronormatifs de l’équipe éducative. La présence d’enfants au sein de ces couples change leurs pratiques de dévoilement et les rend plus fréquents.
Coming outs dans le cercle social
Le coming out dans le cercle social peut avoir des impacts très conséquents dans la mesure où cela peut entrainer une modification des liens que la personne entretient avec les individu·e·s les plus proches d’elle. Un coming out qui se passe bien n’améliore pas le bien-être alors qu’un coming out qui se passe mal entraine une baisse de l’estime de soi et une hausse de symptômes dépressifs, de plus l’autonomie de la personne en est impactée (Ryan et al., 2015). Ne pas dévoiler son orientation sexuelle est par ailleurs associé à une baisse du bien-être sur le long terme chez les lesbiennes, comme chez les gays et bi·e·s (de Miguel et al., 2018).
Interactions entre les différents domaines de vie
Les différents domaines de la vie dans lesquels la personne peut avoir à dévoiler son orientation sexuelle ne sont pas pour autant étanches. Le fait d’être out auprès de son entourage proche peut ainsi favoriser le dévoilement de son orientation sexuelle au travail (Griffith et Hebl, 2002) ou dans le cadre de soins (Miller et al., 2019). Par ailleurs, le fait d’être discriminé·e par un pourvoyeur ou une pourvoyeuse de soins peut au contraire renforcer le sentiment global d’évoluer dans un environnement hétérosexiste (Brotman et al., 2002). Aussi, selon Lindsey et al. (2020), le niveau de satisfaction global des LGB est plus élevé lorsque les individu·e·s se sont dévoilé·e·s dans les différents domaines de leur vie que lorsque leurs identités sont déconnectées (out dans un domaine mais pas dans un autre) ou niées (niveau bas de dévoilement dans tous les domaines de la vie).
Facteurs influençant les coming outs
Dans les processus de coming out, il est en outre important de prendre en compte des facteurs multiples tels que l’âge, la race, la situation économique, l’enclavement, le handicap, la religion ou encore le genre car ils viennent moduler à la fois la manière dont l’individu·e se perçoit, le regard que les autres posent sur elle ou lui et les possibilités concrètes d’évitement ou de coping (Grov et al., 2006 ; Kranz et Pierrard, 2018 ; Rosati et al., 2020 ; Ryan et al., 2015). De plus, gérer les inégalités sociales associées à de multiples identités marginalisées est difficile et impacte négativement le bien-être (Ejaife et Ho, 2019).
En effet, les stratégies de dévoilement de son orientation sexuelle ne vont pas être les mêmes lorsque l’on habite dans une zone rurale et que le nombre de pourvoyeurs et pourvoyeuses de soins est restreint autour de chez soi (Tiemann et al., 1998). Les lesbiennes rurales vont par ailleurs moins dévoiler leur orientation sexuelle et avoir plus d’expériences négatives de coming out dans le cadre de soins que les lesbiennes citadines (Austin, 2013 ; Barefoot et al., 2017). Les personnes LGBTQ+ sans papiers vont faire le choix stratégique de dévoiler ou de cacher leurs identités selon les contextes (y compris dans la famille et au travail) afin d’éviter autant que possible la menace d’être rejeté·e·s (Cisneros et Bracho, 2019). Le fait d’être âgé·e permet de détruire des barrières qui empêchaient le coming out aux autres mais l’image de la vieillesse et les contextes spécifiques qui lui sont rattachés (par exemple : maison de retraite) sont associé·e·s à l’impossibilité d’exprimer son orientation sexuelle (Hasmanová Marhánková, 2019). Les personnes blanches sont significativement plus susceptibles d’être out auprès de leurs parents que les personnes d’un autre groupe ethno-racial, ne pas faire son coming out à sa famille quand on est racisé·e pouvant être une forme de loyauté à celle-ci, et les femmes plus jeunes font leur coming out à elles-mêmes et aux autres plus tôt dans leur vie que ne l’ont fait les femmes plus âgées (Amari, 2012 ; Grov et al., 2006). Les femmes lesbiennes racisées doivent par ailleurs faire face lors de rendez-vous médicaux à des réflexions aussi bien sexistes, que lesbophobes et racistes (Stevens, 1998). La décision de faire son coming out est souvent collective, modelée par des préoccupations familiales, communautaires et religieuses plutôt qu’un besoin individuel d’être out. L’expérience du coming out et le fait d’être out se vit à travers l’intersection de la race, du genre et de l’identité sexuelle plutôt qu’à travers des identités séparées de Noire et femme lesbienne par exemple (Bowleg et al., 2008).
Conséquences des coming outs
Concrètement, faire son coming out peut être une source de stress et de risque suicidaire importante avec un stress perçu plus marqué, un sentiment de contrôle plus faible et un vécu émotionnel plus complexe (du fait de l’entremêlement d’anxiété, de culpabilité et de bien-être) que d’autres évènements stressants (Charbonnier et Graziani, 2011). Un degré de dévoilement élevé est un prédicteur significatif de symptômes dépressifs accrus car cela pourrait augmenter le risque de subir des discriminations et le stress minoritaire chez les lesbiennes, gays et bi·e·s (Riggle et al., 2017). Par ailleurs, la stratégie d’évitement lors d’un coming out stressant est un fort prédicteur d’idéations suicidaires, en lien avec le sentiment de se faire du mal à soi et aux autres (Charbonnier et al., 2018).
Mais le coming out peut également être une source de croissance personnelle (coming out growth) pouvant amener des changements positifs (Charbonnier et Graziani, 2013) notamment en réduisant la dissonance interne (Clair et al., 2005). Le stress post-traumatique et la croissance post-traumatique s’entremêlent après un coming out à la famille notamment (Zavala et Waters, 2020). Également, dévoiler son orientation sexuelle d’une manière très affirmée peut être une tactique pour contrer de futures potentielles discriminations et être un modèle pour les lesbiennes autour de soi (Bjorkman et Malterud, 2012). Par ailleurs, dans une étude longitudinale menée par Mallory et al. (2021) pendant trois ans auprès d’adolescent·e·s et de jeunes adultes lesbiennes, gays et bisexuel·le·s, il a été montré que l’association entre le stress lié au dévoilement et les symptômes de la dépression variait avec l’âge avec une diminution des symptômes de la dépression.
Conclusion
L’objectif de cette revue narrative de la littérature était d’étudier les coming outs et leur récurrence chez les lesbiennes adultes et les impacts que ces dévoilements de l’orientation sexuelle peuvent avoir sur la santé mentale. Elle a permis de montrer que les manières dont se passent les multiples coming outs chez cette population peuvent dépendre de nombreux facteurs individuels et contextuels (tels que l’âge, la race, la situation économique ou encore le lieu de vie) qui viennent moduler à la fois la manière dont la personne se perçoit, le regard que les autres posent sur elle et les possibilités concrètes d’évitement ou de coping. Nous pouvons affirmer l’existence d’un lien fort entre coming outs et santé mentale : dans les différents domaines de la vie, les impacts sont significatifs sur l’emploi, la prise en charge de la santé, la vie familiale et sociale. Se dire lesbienne ou le cacher n’est pas anodin, cela vient redéfinir l’espace autour de soi mais aussi son rapport à sa propre identité. Sortir de la norme hétérosexuelle c’est prendre des risques mais également accéder à une plus grande liberté d’être soi. Les coming outs sont récurrents, concernent différentes sphères de la vie et peuvent à la fois être une source de stress, de risque suicidaire et une source de croissance personnelle.
Mais cette revue présente également certaines limites qui empêchent de répondre totalement à cette question de recherche. En effet, la population lesbienne est étudiée spécifiquement dans seulement un quart des textes présentés, ce qui pose la question de potentielles modalités particulières des coming outs lesbiens qui auraient pu ne pas être identifiées notamment en rapport avec l’hypersexualisation, l’expression de genre ou le sexisme en général. Aussi, les publications traitant du contexte français sont minoritaires alors que les aspects légaux, culturels et historiques doivent certainement jouer sur le dévoilement de l’orientation sexuelle. En France, le mariage pour toustes puis la PMA pour toutes ont par exemple suscités récemment de nombreux débats et rendus plus visibles les familles homoparentales.
Perspectives cliniques et de recherche
Par ailleurs, si le premier coming out au cercle proche, le coming out dans le cadre de soins, le coming out dans le monde professionnel et dans une moindre mesure le coming out aux institutions ainsi que leurs effets sur la santé mentale, ont été étudiés indépendamment les uns des autres chez les lesbiennes, gays, bi·e·s et trans, les effets de la répétition des coming outs dans ces différents domaines au cours de la vie ne semble pas avoir été encore explorés, a fortiori chez les lesbiennes adultes en France. S’intéresser aux effets cumulatifs de ces nombreux coming outs permettrait de considérer la personne dans son intégralité, sans faire abstraction de ses expériences passées et sans compartimenter ses vécus. Ainsi, il serait intéressant d’explorer le vécu de ces lesbiennes adultes concernant l’accumulation dans le temps des coming outs dans les différents domaines de leur vie à travers une étude qualitative exploratoire. Également, les parcours de soins en santé mentale (des thérapies de conversion à la recherche de psychologues LGBT friendly) des lesbiennes en France pourraient être pertinents à étudier dans une perspective développementale.
Pour finir, la création ou la traduction d’échelles de mesure en français spécifiques à ces populations LGBTQIA+ (telles que la Lesbian Identity Disclosure Assessment (van Dam, 2008) ou la Coming Out Growth Scale (Vaughan et Waehler, 2010) qui s’intéressent au degré de dévoilement de l’orientation sexuelle ou encore la Lesbian Internalized Homophobia Scale (Szymanski et Chung, 2001 ; qui mesure la lesbophobie intériorisée) pourraient être des outils précieux en psychologie clinique, dans la recherche et sur le terrain.
Conflits d’intérêts
Aucun conflit d’intérêt déclaré.