Introduction
Le problème des structures et des comportements pathologiques chez l’homme est immense. Un pied-bot congénital, un inverti sexuel, un diabétique, un schizophrène posent des questions innombrables qui renvoient finalement à l’ensemble des recherches anatomiques, embryologiques, physiologiques, psychologiques. Notre opinion est cependant que ce problème ne doit pas être divisé et que les chances de l’éclairer sont plus grandes si on le prend en bloc que si on le découpe en questions de détail. (Canguilhem, 2013/1966, p. 7)
Dès les toutes premières pages de son célèbre essai Le normal et le pathologique, le philosophe de la médecine Georges Canguilhem (2013/1966) souligne la double ambition de son projet : il s’agit d’abord d’affirmer l’unité de la santé, tant dans ses aspects physiologiques que psychologiques ; il s’agit également d’affirmer que les expressions pathologiques du vivant possèdent un noyau commun. La maladie est définie comme une « dimension de la vie » (p. 130) en tant qu’expression habituelle du vivant. La philosophie de la médecine de Canguilhem s’articule ainsi avec une philosophie du vivant. Par ailleurs, la médecine est immédiatement caractérisée dans l’ouvrage comme activité normative, puisqu’elle y est reconnue comme « technique d’instauration et de restauration du normal » (p. 8).
À cette normativité médicale s’oppose une normativité biologique, caractérisant la capacité du vivant à dépasser les cadres normatifs externes, à se mouvoir et s’adapter, à déployer ses propres normes : la normativité est ainsi définie comme « la capacité biologique de mettre en question les normes usuelles à l’occasion de situations critiques » (Canguilhem, 2013/1966, pp. 277-278). La question de la santé est ainsi déportée depuis un état (non-malade) à une capacité : « être en bonne santé c’est pouvoir tomber malade et s’en relever, c’est un luxe biologique » (p. 173). Cette normativité est également ce « qui fait du normal un concept de valeur et non un concept de réalité statistique » (p. 107). La normativité permet en outre de dépasser la tradition quantitative de la maladie qui préside au xixe siècle, notamment représentée par Auguste Comte et Claude Bernard : ce contexte épistémologique affirme l’homogénéité, la continuité et l’identité de la santé et de la maladie1, cette dernière n’étant qu’une variation quantitative et délétère d’une fonction normale. Canguilhem montre que derrière cette conception de maladie se cache des tentatives de réduction du phénomène vivant à une réalité purement physico-chimique, statistique. Or, elle crée un conflit dans les termes qui ne peut être résolu selon Canguilhem qu’en prêtant une qualité vitale irréductible au vivant qui institue des normes selon ses besoins et valeurs propres2 :
Ou bien cet état physiologique est conçu comme ayant, pour le vivant, une qualité et une valeur, et alors il est absurde de prolonger cette valeur, identique à elle-même sous ses variations, jusqu’en un état dit pathologique dont la valeur et la qualité font avec les premières une différence et au fond un contraste. Ou bien ce qu’on entend par état physiologique est simple résumé de quantités, sans valeur biologique, simple fait ou système de faits physiques et chimiques, mais alors cet état n’a aucune qualité vitale et on ne peut le dire ni sain, ni normal, ni physiologique. (p. 86)
En tenant compte de la mobilité du vivant, il apparaît que la pathologie ne peut être complètement fixée. En outre, Canguilhem souligne que chez le vivant humain, la pathologie est toujours ramenée à l’expérience individuelle du·de la malade et du·de la clinicien·ne, et qu’ainsi la maladie n’existe que dans un tissu de valeurs sociales, et de valeurs individuelles des soigné·es et soignant·es (Canguilhem, 2013/1966, p. 97). De manière plus générale, le pathologique apparaît dès lors comme ce qui entrave la normativité biologique, ce qui empêche le vivant d’évoluer d’équilibre précaire en équilibre précaire. L’institution médicale devrait ainsi – selon Canguilhem – viser à faire recouvrer tant que possible à l’être humain malade son état de sujet double : il est le sujet vivant capable de d’altérer son milieu mais aussi le sujet humain capable d’altérer son environnement social (Lefèvre, 2014). La médecine est donc la discipline garante de la souplesse du sujet humain en environnement mouvant et en situations critiques.
Après ces quelques éléments introductifs à la pensée de Canguilhem, nous proposons de déplier quelques-uns de ses concepts et enseignements en considérant leurs usages dans l’analyse des sexualités, objet d’étude traditionnellement rattachés aux études queer. Nous nous attacherons tout d’abord à montrer comment son concept de normativité et la place des valeurs dans ses travaux renouvellent la validité des critiques à l’endroit des institutions productrices de normes – en particulier psychologiques et sexuelles. Nous analyserons ensuite les conséquences épistémiques et politiques de la tradition quantitative de la maladie à la fin du xixe siècle sur la pathologisation des déviant·es du sexe. Nous nous intéresserons par ailleurs aux concepts de normes et normal chez Canguilhem, et déterminerons dans quelle mesure ils peuvent nous aident à appréhender la subjectivation queer. Enfin, nous suggérerons un recul pour comprendre l’intégration des concepts canguilhemiens à une philosophie plus générale du vivant et du savoir et nous proposerons des pistes d’articulation entre philosophie de Canguilhem et épistémologies queers.
Des valeurs aux systèmes de valeurs dans les disciplines de la psyché
Nous le soulignions, Canguilhem affirmait très tôt son ambition moniste quant à la maladie autour de son concept de normativité. Relativement à la « psyché », il prolonge sa pensée en termes politiques : la santé apparaît dès lors comme la capacité du sujet à pouvoir conserver une influence normative sur son environnement social :
Comme il nous a semblé reconnaître dans la santé un pouvoir normatif de mettre en question des normes physiologiques usuelles par la recherche du débat entre le vivant et le milieu […] de même il nous a semblé que la norme en matière de psychisme humain c’est la revendication et l’usage de la liberté comme pouvoir de révision et d’institution des normes, revendication qui implique normalement le risque de folie. (Canguilhem, 2015, pp. 216-217)
A ce titre, Canguilhem lie les enjeux d’un vivant se débattant avec son milieu et de l’humain·e aux prises avec son environnement sociotechnique. Il souligne par ailleurs la pertinence des analyses critiques des disciplines produisant un discours sur le vivant humain – biologie, médecine, psychologie, etc. – et qui entendent « instaurer » du normal.
Dans la conférence Qu’est-ce que la psychologie ? de 1956 (publiée en 1958), Canguilhem exerce cette prérogative avec vigueur et provocation. Il y conteste en effet l’unité de la discipline psychologique et son ambition scientifique de construire une « théorie générale de la conduite, synthèse de la psychologie expérimentale, de la psychologie clinique, de la psychanalyse, de la psychologie sociale et de l'ethnologie » (Canguilhem, 1958, p. 13). Sous la volonté de savoir de la psychologie, Canguilhem souhaite révéler un système de valeurs camouflé, en particulier dans la tradition behavioriste où « tout rapport à une théorie philosophique [est] refusé » (p. 22). Pour révéler ce système de valeurs normatif, Canguilhem propose alors, au-delà de la seule analyse épistémologique, à la philosophie de « se retourner […] du côté populaire, c'est-à-dire du côté natif des non-spécialistes » (p. 25). En dernière analyse, Canguilhem estime que cette dissimulation engendre la suspicion d’un contrôle social de la part d’une psychologie n’explicitant pas sa vision du monde. Il souligne ainsi l’ambivalence et les enjeux d’une science de la psyché, entre idéal de connaissance et instrument de police des mœurs :
Mais le philosophe peut aussi s'adresser au psychologue sous la forme - une fois n'est pas coutume - d'un conseil d'orientation, et dire : quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l'on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si l'on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police3. (p. 25)
Ces travaux sur les normes, la politisation de la santé psychique et l’attention portée aux institutions médicales font écho aux travaux de Michel Foucault sur la folie et la sexualité. En particulier, le concept foucaldien de « biopouvoir » s’appuie sur les enseignements de Canguilhem4, qui s’inspire en retour de Foucault5 (Paltrinieri, 2013). Outre les travaux de Foucault, l’essai Le normal et le pathologique apparaît ainsi essentiel à l’appréhension des systèmes de valeurs sous-jacents aux processus de normalisation et pathologisation.
La pathologisation psychique de la variété sexuelle offre en retour un exemple concret de ces systèmes de valeurs et de leurs déterminants au xixe siècle. Cet objet traditionnel des études queers vient réaffirmer l’épistémologie de Canguilhem qui avait mis au jour la tradition quantitative de la maladie. Cette tradition apparaît en effet comme une condition de possibilité de l’accaparement par la psychiatrie des sexualités déviantes en dramatisant leur supposé danger par la création d’une « continuité des perversions ». Nous verrons comment la formalisation d’une psychopathologisation et les contestations militantes finissent par aboutir à une rupture qualitative qui casse cette chaîne des perversions. Nous interrogerons de nouveau Canguilhem et son étude des normes pour la mettre en relation avec la subjectivation queer, avant de tracer plus formellement des pistes entre philosophie canguilhemienne et théories queers.
La pathologisation psychique de la variété sexuelle : de la « continuité des perversions » à la rupture qualitative
A la fin du xixe siècle, la tradition quantitative précédemment décrite offre à la psychiatrie en constitution une fenêtre vers le normal depuis le pathologique : puisque la pathologie ne constitue qu’une variation délétère du normal, l’étude des mécanismes dits pathologiques doit pouvoir donner accès au normal par régression. Ce contexte trouble toutefois les frontières et autorise le débordement du pouvoir psychiatrique.
Nous reviendrons d’abord sur l’effet de cette continuité normal-pathologique déployée par la psychiatrie sur les expressions sexuelles déviantes et comment cette tradition quantitative implique la dangerosité sociale. Nous aborderons ensuite la naissance de la « perversion », concept phare de la pathologisation des sexualités non-reproductives, qui inscrit cette dangerosité dans la biologie. Enfin, dans une dernière partie, nous soulignerons l’apparition d’une « rupture qualitative » au début du xxe siècle dans l’analyse des sexualités, contre la tradition quantitative, qui permet tout à la fois de relativiser le danger social et de mieux faire place aux subjectivités déviantes.
La sexualité : une Idée née de la psyché
Au début du xixe siècle, la première nosologie psychiatrique détermine des « zones grises » du raisonnement, entre normal et pathologique, un dispositif dans lequel vient s’insérer la sexualité :
La formation de concepts tels que la folie raisonnante, la monomanie et la folie morale a permis aux désirs sexuels problématiques de devenir un problème psychiatrique, et ainsi un objet de questionnement, au xixe siècle. La sexualité elle-même fut faite problème psychiatrique par l’émergence de ces concepts, qui montrent qu’il existe une relation entre le normal et le pathologique. Des concepts comme la folie morale ont mis en avant l’existence du dérangement de facultés mentales qui présidaient au cadre émotionnel de l’humain, tout en laissant intact sa capacité au raisonnement. (Beccalossi, 2010, p. 235, ma traduction).
Chiara Beccalossi, historienne de la sexualité et de la médecine, souligne ici que les concepts de la psychiatrie naissante permettent de disjoindre la rationalité des personnes étudiées de leurs comportements sexuels non-typiques. Cela les place sur la frontière normal/pathologique mais singularise leur sexualité en un tout définitivement pathologique. Cette pathologisation des existences par la psychiatrie s’inscrit dans un contexte de compétition avec les autorités juridiques et religieuses, qui partagent avec elle l’administration des déviant·es du sexe, sur le terrain du libre-arbitre (Crozier, 2003 ; Guignard, 2001). Elle lui permet ainsi de devenir progressivement l’autorité de référence sur le partage entre raison et déraison, et sur la responsabilité (devant le tribunal ou devant Dieu).
Cette continuité normal-pathologique sert en outre de justification à la toute-puissance du médecin devenu gardien d’un ordre psycho-sexuel fragile :
L’un des premiers soins des aliénistes du xixe siècle a été de se faire reconnaitre comme ‘spécialistes’ […] plutôt d’un certain péril général qui court à travers le corps social tout entier, menaçant toute chose et tout le monde, puisque nul n’est à l’abri de la folie ni de la menace d’un fou. L’aliéniste […] s’est posté comme le factionnaire d’un ordre. (Foucault, 2001, p. 272).
Ce « péril général » qui passe par la menace de la folie s’appuie ainsi fortement sur l’acception quantitative de la maladie. Cette dernière permet de diluer les frontières entre raison et déraison et intègre dans ces zones grises les comportements sexuels marginalisés, plus tard catégorisés comme « perversions » biologiques avec l’émergence des théories sur l’hérédité.
De l’origine des perversions
Ce mouvement psychopathologisant mute vers le milieu du xixe siècle à l’aune de la théorie de la dégénérescence, elle-même issue d’une vision partiale des théories sur l’hérédité (Chaperon, 2010 ; Mazaleigue-Labaste, 2013). Ces théories s’intersectent à des impératifs bourgeois et productivistes qui rendent centrale la reproduction et disqualifient les comportements non-reproductifs (Foucault, 2001 ; Pastorello, 2011).
L’évolution conceptuelle de la « perversion » vient souligner ce contexte et les bouleversements à l’œuvre dans l’appréhension des sexualités. Dès la fin des années 1840, l’aliéniste Claude-François Michéa (1849) propose à ce titre une nouvelle analyse de la perversion dans son article Des déviations maladives de l’appétit vénérien. Michéa participe à transformer en profondeur les « perversions de l’instinct sexuel », apparues dans les discours médicaux à la fin des années 1820, en « perversions sexuelles » (Mazaleigue-Labaste, 2016, §14 [En ligne]). La catégorie initiale, protéiforme, servait jusque-là à décrire des comportements qui tranchent avec la modération attendue à l’époque moderne :
[La plupart de ces perversions] provenaient de la médecine de la folie de la période moderne : nymphomanie, satyriasis, auxquelles s’ajoutaient des « délires érotiques » multiformes. Leur pathogénie comme leur symptomatologie et leur clinique relevait du même schème normatif d’appréhension des « plaisirs de l’amour » : la rupture avec la modération dans les plaisirs exigée des hommes et femmes du début du xixe siècle. L’intempérance caractéristique de ces premières « perversions » correspondait ainsi à l’incapacité de l’individu à contrôler ses passions et dès lors à exercer ses droits civils comme politiques […]. (§13)
Après ce tournant, la perversion devient gouvernée par la « monomanie instinctive6 » et intègre « l’amour grec » selon la dénomination de Michéa. Mazaleigue-Labaste souligne par ailleurs l’absence de rupture qualitative entre les perversions bénignes et les perversions criminelles les plus spectaculaires dans ce renouveau conceptuel. L’article de Michéa répond en effet à une affaire retentissante, celle du sergent Bertrand, le nécrophile « vampire de Montparnasse », qui est par ailleurs décrit comme un « bon sergent intelligent, au physique agréable, sans trouble apparent, sans signe aucun d’immoralité ou de folie hormis ses actes atroces » (Mazaleigue-Labaste, 2016, §14).
La refonte de la « perversion » par Michéa, qui avait pour but de réconcilier cette apparente contradiction, termine de rassembler toutes les sexualités non-reproductives des plus anodines aux plus dramatiques sous une même nécessité biologique. Ces éléments conduisent finalement à l’instrumentalité d’une psychiatrie perpétuant l’ordre social sous l’apparat scientifique :
En d’autres termes, les normes qui sous-tendent le partage entre l’acceptable et l’inacceptable sexuel relèvent du maintien de l’ordre moral et social visible, du respect des bienséances à celui de la loi. Mais de fait, la question de la dangerosité sociale et pénale de ceux que l’on ne nommera « pervers » qu’au début du XXe siècle est déjà est en filigrane de cette continuité des perversions de l’« anodin » au « périlleux » - pour reprendre les termes de Georges Lantéri-Laura. (§17)
Cette généalogie de la perversion établie, et son système de valeurs mis au jour, nous proposons de revenir sur son usage le plus canonique dans la pathologisation de la variété sexuelle, et comment certaines contradictions internes et externes finissent par montrer les limites du modèle quantitatif de la maladie et ses conséquences sur les subjectivités déviantes.
Le Psychopathia sexualis : la perversion canonique
La réécriture de la perversion s’avèrera essentielle aux divers auteurs participant d’une pathologisation de l’homosexualité. Le Psychopathia sexualis du psychiatre Richard von Krafft-Ebing (1894/1886) constitue probablement le pinacle du modèle de la perversion biologique d’origine héréditaire et l’exemple le plus significatif de cette tradition quantitative appliquée à la psychopathologie7. Le « pape des perversions » (Mazaleigue-Labaste, 2015, p. 24) caractérise quatre grandes catégories de manifestations déviantes : l’hypoesthésie ou anesthésie (sexualité insuffisante), l’hyperesthésie (sexualité excessive), la paradoxie (sexualité hétérosexuelle avec coït atypique) et la perversion ou paresthésie (homosexualité8 congénitale, anthropophagie/nécrophilie, sado-masochisme, auxquelxUl Krafft-Ebing ajoute plus tard le fétichisme). L’homosexualité est le modèle statistique et clinique de la perversion. La perversion-vraie est caractérisée négativement : toutes les pratiques dont la finalité n’est pas reproductive (l’homosexualité étant la plus courante) entrent dans cette catégorie.
L’homosexualité occupe une place tout à fait conséquente dans le Psychopathia sexualis – 134 pages sur 432 dans l’édition britannique de 18949. Elle y est définie comme « grande diminution ou absence complète du sentiment sexuel pour le sexe opposé et substitution par des sentiment et instinct sexuels dirigés vers le même sexe (homosexualité, instinct sexuel contraire10) » (Krafft-Ebing, 1894/1886, p. 185). Krafft-Ebing subdivise le sentiment homosexuel en « homosexualité acquise » (plutôt circonstancielle et sous l’égide de l’hyperesthésie) et en « sentiment homosexuel en tant que manifestation anormale et congénitale » (p. 222). Cette dernière occupe l’essentiel de l’analyse et s’avère la plus canonique du Psychopathia sexualis et de sa postérité autour de la perversion. Krafft-Ebing propose quatre grands types d’homosexualité :
1) Traces de l’instinct hétérosexuel, avec une prédominance homosexuelle (hermaphrodisme psycho-sexuel)
2) Il existe un penchant strict pour le même sexe (homosexualité)
3) L’existence mentale entière est altérée afin de correspondre à l’instinct sexuel anormal (effémination et viraginité11)
4) La forme du corps se rapproche de celui qui correspond au sentiment sexuel anormal. Toutefois, les transitions complètes vers l’hermaphrodisme ne se produisent jamais ; au contraire, les organes génitaux sont parfaitement différenciés ; de sorte que, dans toutes les perversions pathologiques de la vie sexuelle, la cause doit être recherchée dans le cerveau (androgynie et gynandrie) (pp. 222-223)
Cette typologie – plutôt une échelle – apparaît ainsi paradoxale en soulignant des formes présentées comme pures tout en définissant des degrés d’homosexualité congénitale : établissant des frontières, elle affirme la continuité de la perversion dans ses parties sexuelles, sexuées (« forme du corps ») et genrées (« existence mentale ») ; désignant des occurrences psychologiques pures, elle les accole toutefois à des manifestations organiques. D’un point de vue diagnostique, cette échelle correspond en fait aux degrés d’une dégénération qui s’accroit au fil des générations : « On serait ainsi enclin à désigner les degrés variés d’instinct sexuel contraire congénital comme des degrés variés d’une anomalie sexuelle induite par l’hérédité […]. Ici également, la loi de l’hérédité progressive doit être prise en considération. » (Krafft-Ebing, 1894, pp. 228-229). En dernière analyse, la rationalisation scientifique graduée de Krafft-Ebing souligne pleinement l’appartenance de son modèle de la perversion au cadre épistémologique quantitatif, soulignant une continuité des degrés de perversion – de l’anodine à la plus sévère, du psychologique au biologique.
L’étude de Krafft-Ebing se base sur des études de cas stratégiquement sélectionnées pour soutenir les théories de son ouvrage comme le souligne Ivan Crozier, historien de la sexualité :
Les sexologues choisissaient leurs cas pour illustrer une déviance caractéristique ou élargir telle ou telle catégorie particulière de perversion. Les histoires qu’ils relatent témoignent des hypothèses prises en compte par la discipline, indissociables des rôles culturels genrés attribués aux hommes et aux femmes. Il ne faut donc pas sous-estimer l’importance des histoires de cas dans le travail des sexologues. (Crozier, 2003, p. 33)
Cette tradition de recueil de témoignages, en tant qu’obstacle épistémologique12, s’avèrera tout à la fois décisive dans la consolidation d’une oppression médicale mais également dans l’émergence de subjectivités queers. Nous proposons de revenir brièvement à Foucault afin de mieux caractériser cette subjectivation à partir du xixe siècle.
Subjectivation déviante et rupture qualitative
Foucault date la naissance de l’« espèce homosexuelle » à l’avènement de la perversion, mélangeant des enjeux de sexualité-sexe-genre dans le champ scientifique13 : il souligne en effet l’émergence d’une « certaine qualité de la sensibilité sexuelle, une certaine manière d’intervertir en soi-même le masculin et le féminin. L’homosexualité est apparue comme une des figures de la sexualité lorsqu’elle a été rabattue de la pratique de la sodomie sur une sorte d’androgynie intérieure, un hermaphrodisme de l’âme. Le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant une espèce » (Foucault, 1976, p. 59). Foucault rappelle en outre que le xixe siècle voit intervenir l’individuation du comportement sexuel, écho de l’individuation du mal psychique et de la zone grise décrits par Beccalossi :
Au cours du xixe siècle, on commence à voir émerger l’importance du comportement sexuel dans la définition de l’individualité. […] Avant le xixe siècle, les comportements interdits, même s’ils étaient sévèrement jugés, étaient toujours jugés comme un excès, un libertinage, quelque chose d’outrancier. [...] La conduite homosexuelle passait toujours pour un excès du comportement naturel, un instinct qu’il était difficile de confiner à l’intérieur de limites particulières. A partir du xixe siècle, on constate qu’un comportement tel que l’homosexualité passe pour un comportement anormal. (Foucault, 2001, p. 1351)
Dans une dialectique continuelle avec des individus qui se débattent contre les assignations, les catégories médicales tendent à se stabiliser autour de l’homosexualité et de l’inversion sexuelle au début du XXe, amalgamant tous les signifiants du « sexe » (sexualité, sexuation, genre) et formant ce que Mazaleigue-Labaste nomme « matrice des catégories médico-psychologiques d’homosexualité, de transvestisme et de transsexualisme » (Mazaleigue-Labaste, 2018, p. 27), catégories qui structureront le xxe siècle.
Le plus illustre des individus se débattant contre ces nouvelles normes sociales est le juriste uraniste Karl Heinrich Ulrichs. Ulrichs est en contact avec diverses autorités médicales de l’époque, dont Krafft-Ebing. Son concept d’« uranisme » crée une « classe spéciale de personnes, une troisième coordonnée sexuelle avec les hommes et les femmes » (Ulrichs, cité dans Kennedy, 2002, p. 70) mélangeant considérations sexuelles et genrées et formant le véritable creuset épistémologique de l’inversion sexuelle14.
L’avènement d’une épistémologie qualitative, notamment portée par les proto-sexologies du xxe siècle, participera finalement à casser la chaîne des perversions en appréciant davantage les existences entières, leur cohérence, leur spécificité. Cette rupture qualitative est tout à la fois permise et empêchée par la tradition médicale de recueil de récits15 agissant à la manière d’un obstacle épistémologique. Du Roman d’un Inverti-né du Dr Laupts (1894) (Georges Saint-Paul), préfacé par Emile Zola, au Psychopathia sexualis (un « bestseller »), la médecine diffuse largement des catégories pathologisantes. Elle participe toutefois malgré elle à la collecte et à la diffusion de témoignages, qui humanisent des comportements fantasmés et fournissent des référents.
Une démarche proto-sexologique d’usage de témoignages est particulièrement prégnante dans le Sexual inversion (1897) du médecin Havelock Ellis. L’ouvrage est le fruit d’une collaboration avec les poètes et militants John Addington Symonds et Edward Carpenter (Ellis, Symonds et Crozier, 2007). Le témoignage s’avère un lieu tout à fait stratégique dans l’ouvrage d’Ellis : Carpenter, lui-même homosexuel, amène son propre témoignage et celui d’amis homosexuels pour constituer le vivier de cas d’étude de l’ouvrage (p. 57). Une deuxième tradition sexologique, davantage portée sur la variété et atrophiant le discours pathologique, est représentée par le médecin et militant Magnus Hirschfeld. Ce dernier présente notamment dans Die Zwischenstufen ‘Theorie’16 (1910) une classification d’« étapes intermédiaires » (Zwischenstufen) qui participe à fracturer la « matrice » sexe-genre en des catégories de sexe, de sexualité et de genre plus distinctes, et naturalisées (Dose, 2014).
Ainsi, l’avènement de la rupture qualitative dans la tradition quantitative psychopathologisante met en jeu des subjectivités queers en construction, s’appuyant sur, et contestant tout à la fois les référents médicaux. Cette subjectivation et les contestations scientifiques d’Ulrichs, Symonds, Carpenter et Hirschfeld témoignent d’une certaine normativité des déviant·es de sexe dans un contexte social en profonde mutation. Nous proposons ici aussi d’interroger la philosophie de Canguilhem qui propose une exploration des normes et de la normativité.
Normes, normal, normativité
Au-delà du soutien épistémologique qu’offre Canguilhem, sa philosophie s'appuie sur un concept de « normativité biologique » qui souligne la propension du vivant au dépassement, à l’instauration de normes nouvelles. Cette normativité se déplie à divers niveaux : biologique, humaine (sociotechnique), psychologique (en fait politique) et scientifique. Canguilhem clarifie dans Le normal et le pathologique quelques-uns des concepts afférents, en particulier les concepts de norme et de normal :
Quand on sait que norma est le mot latin que traduit équerre et que normalis signifie perpendiculaire, on sait à peu près tout ce qu’il faut savoir sur le domaine d’origine du sens des termes norme et normal, importés dans une grande diversité de domaine. Une norme, une règle, c’est ce qui sert à faire droit, à dresser, à redresser. Normer, normaliser, c’est imposer une exigence à une existence, à un donné, dont la variété, la disparate s’offrent, au regard de l’exigence, comme un indéterminé hostile plus encore qu’étranger. (Canguilhem, 2013, p. 227)
Relativement au contexte politique de la pathologisation des sexualités déviantes, la normalisation médicale doit également s’apprécier comme un moment de bascule fondant l'efficacité d'un « biopouvoir » décrit par Foucault : ce pouvoir déporte ainsi l’importance de la loi (discrète) vers la norme (continue) pour garantir l’uniformité de ses effets dans la domestication du corps individuel et du corps social (Foucault, 1976). Le biopouvoir de Foucault est par ailleurs tributaire de Canguilhem à au moins un autre titre : son renforcement au xixe siècle souligne que « pour la première fois dans l’histoire, le biologique se réfléchit dans le politique, le fait de vivre […] passe pour une part dans le champ de contrôle du savoir et d’intervention du pouvoir. » (p. 187). Canguilhem soulignait en effet déjà dans Qu’est-ce que la psychologie, que, relativement à la psychologie behavioriste (conçue » sur le patron de la biologie »), le xixe siècle constituait un siècle d’instrumentalisation de l’humain·e, fondant le pouvoir dans la volonté de savoir :
À l'utilitarisme, impliquant l'idée de l'utilité pour l'homme, l'idée de l'homme juge de l'utilité, a succédé l'instrumentalisme, impliquant l'idée d'utilité de l'homme, l'idée de l'homme comme moyen d'utilité. L'intelligence n'est plus ce qui fait les organes et s'en sert, mais ce qui sert les organes. [...] Les recherches sur les lois de l'adaptation et de l'apprentissage, sur le rapport de l'apprentissage et des aptitudes, sur la détection et la mesure des aptitudes, sur les conditions du rendement et de la productivité (qu'il s'agisse d'individus ou de groupes) – recherches inséparables de leurs applications à la sélection ou à l'orientation admettent toutes un postulat implicite commun : la nature de l'homme est d'être un outil, sa vocation c'est d'être mis à sa place, à sa tâche. (Canguilhem, 1958, pp. 22-23)
A cette volonté de savoir qui réfute une valeur propre à l’humain·e sous prétexte scientifique, qui « recherche un déterminisme statistique, progressivement assis sur les résultats de la biométrie » (p. 23), Canguilhem oppose une normativité humaine qui résiste en tant productrice de valeur. S'inscrivant à la suite du philosophe Gaston Bachelard, Canguilhem rappelle ainsi concernant les normes et valeurs que :
toute valeur doit être gagnée contre une antivaleur. [...] Une norme, une règle, c’est ce qui sert à faire droit [..]. Le concept de droit, selon qu’il s’agit de géométrie, de morale ou de technique, qualifie ce qui résiste à son application de tordu, de tortueux ou de gauche. [...] La norme, en dépréciant tout ce que la référence à elle interdit de tenir pour normal, crée d’elle-même la possibilité d’une inversion des termes. [...] Ainsi, toute préférence d’un ordre possible s’accompagne, le plus souvent implicitement, de l’aversion de l’ordre inverse possible. (Canguilhem, 2013, pp. 227-228)
Il nous semble ici intéressant de souligner l’usage du mot » tordu », qui au-delà de sa signification péjorative pour désigner une personne folle, s’avère également l’étymologie du mot queer17. Cette analyse de la norme, de ses effets – notamment sur la création par elle-même de la possibilité d’une inversion des termes – s'avère précieuse pour penser la dialectique entre subjectivités sexuelles dissidentes et normalité médicale psychiatrique à la fin du xixe siècle. L’avènement d’une rupture qualitative permise par les témoignages agit dès lors comme un révélateur des limites et des fins de la norme : les subjectivités « tordues », obliques, inverties, mises en avant par les proto-sexologies, sont les signes d’une contestation normative d’un vivant humain qui se débat avec un milieu (sociotechnique) nouvellement normé.
Canguilhem n’affirme pour autant pas que l’anormal est simplement réactif. Si cet anormal est révélé sous le régime de la norme appliquée, c’est bien lui qui appelle la formulation de la norme. Canguilhem insiste donc sur le fait qu’« il n’y a aucun paradoxe à dire que l’anormal, logiquement second18, est existentiellement premier » (p. 232). Finalement : « Dans l’ordre du normatif, le commencement c’est l’infraction » (p. 230)19.
Nous proposons de revenir dans notre dernière partie sur les précisions de Canguilhem quant à la primauté de cette infraction dans sa philosophie du vivant, ainsi que ses conséquences sur la propension à la variété du vivant.
Une philosophie du vivant et du savoir : Canguilhem queer ?
Si Canguilhem s’intéresse dans Le normal et le pathologique à la question des normes médicales qui instaurent et restaurent du normal, son étude se prolonge également en philosophie du vivant par le concept de normativité biologique. Le vivant est en effet en débat avec son milieu, en instaurant de nouvelles normes vitales pour médier son rapport à lui, notamment dans les moments de maladie qui constituent des crises. Les commentateur·ices de la première partie de son ouvrage – sa thèse d’exercice, rédigée vingt ans avant l’addendum de 1966, lui reproche l’imprécision de sa définition d’adaptation et de son fondement biologique. Canguilhem leur répond, ici encore en proposant un déplacement du regard :
En fait il y a adaptation et adaptation, et le sens où elle est entendue, dans les objections qui nous ont été faites, n’est pas celui que nous lui avions donné. Il existe une forme d’adaptation qui est spécialisation pour une tâche donnée dans un milieu stable, mais qui est menacée par tout accident modifiant ce milieu. Et il existe une autre forme d’adaptation qui est indépendance à l’égard des contraintes d’un milieu stable et par conséquent pouvoir de surmonter les difficultés de vivre résultant d’une altération du milieu. Or, nous avions défini la normalité d’une espèce par une certaine tendance à la variété, « sorte d’assurance contre la spécialisation excessive, sans réversibilité et sans souplesse qu’est une adaptation réussie ». En matière d’adaptation le parfait ou le fini c’est le commencement de la fin des espèces. (Canguilhem, 2013, p. 253)
La distribution des fréquences d’un caractère chez une espèce ne doit plus s’apprécier de manière normative (notamment sous sa forme gaussienne), mais devient l’effet du processus qu’est l’évolution. « La capacité biologique de mettre en question les normes usuelles à l’occasion de situations critiques » se prolonge dans l’espèce en capacité à surmonter les situations critiques évolutives. Ces « infractions » aux normes (à l’image des mutations) qui créent une tension avec un impératif d’équilibre, sont, selon Canguilhem, ce qui définit le mieux le vivant, et justifie l’existence de l’anormalité avant celle de la norme, bien qu’elle se révèle logiquement seconde.
Cette analyse du vivant dynamique, attachée à l’individualité, et autorisant l’articulation de normes biologiques et socio-psychologiques, nous apparaît essentielle pour renouveler les analyses naturalistes et queers du sexe. Les travaux de Canguilhem aboutissent en effet non plus à la centralité de la reproduction, postulat habitant les théories psychopathologisantes du second xixe, mais à la variété du vivant et aux conditions de sa production. Les conclusions politiques de Canguilhem concernant la santé psychique (capacité de mettre en question les normes usuelles sociales) soulignent par ailleurs la pertinence des analyses critiques des institutions produisant le normal sexuel, que les théories queers s’attachent traditionnellement à explorer.
Dans Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie, Canguilhem (1993/1977) propose enfin un dernier prolongement au concept de normativité : celui de normativité scientifique. Le « projet de savoir » selon Canguilhem est caractérisé comme « discours normé par sa rectification critique » (Canguilhem, 1993/1977, p. 21), c’est-à-dire un discours qui a su surmonter ses contradictions passées et qui travaille à son propre dépassement. L’épistémologie historique de Canguilhem insiste, ici aussi, sur les systèmes de valeurs (retrouvés dans les idéologies scientifiques) qui forment la trame normative implicite que s’efforce de corriger le projet de savoir, par ailleurs toujours par un chemin latéral, imprévisible a priori, oblique à l’idéologie20. Canguilhem prolonge ainsi, autour d’une dialectique, le projet du vivant (problématisation des normes vitales usuelles) dans un projet de savoir (problématisation des normes scientifiques usuelles), lui aussi gouverné par une certaine imprévisibilité. La mise en échec des normes de savoir usuelles nous apparaît refléter, ici également, au moins une partie des usages du queer par certain·es de ses plus célèbres théoricien·nes, comme le souligne Annamarie Jagose :
Judith Butler n'essaie pas d'anticiper exactement la manière dont le queer continuera à remettre en question les structures et les discours normatifs. Au contraire, elle affirme que ce qui rend le queer si efficace, c'est la façon dont il comprend que les effets de ses interventions ne sont pas singuliers et ne peuvent donc pas être anticipés à l'avance. (Jagose, 1996, p. 129, [ma traduction])
En dernière analyse, le projet de savoir canguilhemien cherche à montrer comment l’expérience vitale de problématisation des normes usuelles est susceptible de se prolonger en problématisation des normes sociotechniques/politiques, et finalement des normes scientifiques. Canguilhem rappelle sobrement à la fin d’Idéologie et rationalité la solidarité des enjeux du·de la biologiste de ceux du vivant monocellulaire qu’il observe, liés par la problématisation (spontanée ou médiée scientifiquement) des normes vitales :
Entre les bactéries de culture d’une part, et les biologistes qui observent leur vie en laboratoire d’autre part, s’intercalent toutes les formes de vivants auxquels l’ordre de la vie et le filtre de la sélection ont imposé l’existence. Ces vivants vivent leur vie en référence spontanée à certaines exigences de comportements ou normes d’adaptabilité. L’interrogation sur le sens vital de ces comportements, ou de ces normes, bien qu’elle ne relève pas directement de la physique ou de la chimie, fait, elle aussi, partie de la biologie. (Canguilhem, 1993, p. 138)
Conclusion
Ainsi, nous avons constaté que le projet de savoir de Canguilhem était audacieux, tant il ambitionne d’unifier des champs distincts autour du concept central de normativité biologique. Ses travaux, initiés dans sa thèse de médecine Le normal et le pathologique, ont envahi d’autres espaces, enrichissant en particulier les archéologies de Foucault, avec qui Canguilhem partage une ambition théorique à vocation heuristique. Son attention portée aux valeurs du vivant l’amène à rejeter les interprétations quantitatives qui nient ces valeurs et créent la condition de possibilité d’une instrumentalisation – en particulier sous l’apparat d’une science sans idéologie.
Ceci établi, nous avons cherché à montrer comment des objets de recherche typiques des études queers réaffirmait le contexte quantitatif du xixe siècle, qui établit une condition de possibilité majeure à la dramatisation des enjeux sexuels par la médecine et à la pathologisation, avant l’avènement d’une rupture qualitative portée par les subjectivités déviantes.
Finalement, nous avons tenté de montrer comme la notion de normativité pourrait s’avérer féconde dans les épistémologies queers, en fondant dans une philosophie naturaliste (ne cédant pas au biologisme) la contestation des instances normalisatrices. En plaçant le devenir (contingent) du vivant en lien avec son milieu (lui-même contingent) plutôt que sa substance propre21, il met par ailleurs en avant l’aspect relationnel des processus biologiques, impliqués dans un tissu de normes diverses. Finalement, la normativité de Canguilhem déporte, au moins en partie, les enjeux du vivant depuis la reproduction vers les conditions de production de sa variété ; et, dans sa dimension scientifique, elle suggère l’existence de routes obliques dans l’effectuation du projet de savoir : des chemins tordus vers une normativité queer (Niedergang, 2023)22 ?
Conflits d’intérêt
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