Introduction
Dans la langue française, la marque grammaticale masculine est utilisée aussi bien pour se référer exclusivement au genre masculin (par ex. un groupe composé seulement d’hommes), qu’à un groupe composé de femmes et d’hommes, ou une personne ou un groupe dont le genre est inconnu ou non pertinent (Gygax et al., 2019). Dans le premier cas, le masculin revêt un sens dit « spécifique », alors que dans le second cas, il est considéré comme « générique ». Cette forme générique du masculin est réputée neutre dans le sens où elle est censée représenter aussi bien les femmes que les hommes. Elle se traduit notamment par la règle grammaticale de primauté du masculin (« le masculin l’emporte sur le féminin »), selon laquelle, dans une même phrase, les accords se font toujours au masculin dès que le genre masculin est présent (« Les villageois et villageoises sont partis à la campagne »). La forme générique se rencontre également dans certains noms de métiers ou de groupes sociaux, qui ne comprennent pas (ou plus) de forme féminine (« un médecin », « un professeur »), ou qui sont conventionnellement désignés par la forme masculine (« les étudiants »), mais pour lesquels la représentation des femmes est sous-entendue. Cette forme d’écriture est bien établie, considérée comme conventionnelle en haut lieu, malgré son potentiel, nous le verrons plus loin, à sous-représenter les femmes dans la langue. Ainsi, une loi votée le 31 octobre 2023 par le Sénat1 vise à interdire toute évolution de la langue française vers plus de féminisation, par exemple en interdisant des pronoms du type « iel » et en proposant d’annuler les actes juridiques dans lesquels seraient utilisées des formes d’écriture plus féminisées.
Si le masculin générique sous-représente les femmes dans la langue, il existe pourtant des solutions pour éviter ce biais, par exemple en reféminisant2 ou en démasculinisant les pratiques langagières (Gygax et al., 2021). Il existe en effet plusieurs alternatives plus inclusives (ou moins exclusives, Gygax et al, 2021) et équitables comparativement à l’utilisation générique de la forme masculine (Abbou, 2011), on parle alors de langage « inclusif » ou d’écriture inclusive lorsqu’il s’agit de textes écrits. Il peut s’agir de reféminiser la langue en utilisant des doublets (par ex., les étudiantes et étudiants) ou bien, à l’écrit, des formes abrégées, comme le point médian (par ex., les étudiant·e·s), proposé en 2015 par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.
L’écriture inclusive (EI) fait l’objet de nombreux débats publics et politiques et de résistances au sein de la société française (Burnett & Pozniak, 2021). Plusieurs arguments sont généralement avancés par ses détracteur·rice·s : l’EI rendrait les textes plus difficiles à comprendre, moins lisibles et esthétiques, ce que ne soutient pas la littérature scientifique (pour une revue de la littérature, voir Sczesny et al., 2016). Certaines personnes évoquent le fait de vouloir « protéger le français » et proposent l’interdiction de l’EI. Par exemple, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, en Septembre 2017, a ordonné qu’elle ne soit pas enseignée dans les écoles. Plus récemment, Emmanuel Macron déclarait (en 2023), lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts3 : « Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y rajouter des points au milieu des mots, ou des tirets ou des choses pour la rendre lisible » (p. 3). Même si les débats se focalisent principalement sur le point médian (e.g., étudiant·e·s), l’EI dans son ensemble ne bénéficie pas d’un soutien institutionnel, ce qui a, par exemple, conduit le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) à proscrire cette écriture lors de la diffusion des offres d’emploi sur son portail Emploi (condition impérative pour qu’une offre soit publiée sur le site).
Partant du constat que l’EI ne fait pas consensus, notre étude a pour objectif de dresser un état des lieux de la perception des français·e·s à l’égard de l’EI en 2024. Premièrement, en examinant les processus psychologiques qui conduisent à son acceptation ou son rejet. Deuxièmement, en étudiant les différences d’acceptation entre les femmes et les hommes, et ce, 3) en comparant de manière exploratoire sept formes d’EI (le point médian, le tiret, le point, le slash, la parenthèse, la majuscule, le doublet). Pour des raisons d’échantillonnage, notre étude se focalisera uniquement sur la perception de l’EI chez des personnes s’identifiant de manière binaire soit comme femme, soit comme homme. En effet, notre échantillon contient un nombre trop insuffisant de personnes autodéclarées comme non binaires (n = 4), pour explorer la perception de l’EI de cette population.
Les effets bénéfiques de l’EI sur la représentation mentale des femmes dans le langage
Les travaux scientifiques menés ces dernières années, quelles que soient les langues étudiées, ont abouti à un résultat consensuel : le genre masculin est presque toujours traité par notre esprit dans un sens spécifique, et non générique (Brauer & Landry, 2008 ; Chatard et al., 2005 ; Gabriel et al., 2008 ; Garnham et al., 2012 ; Gygax et al., 2008, 2012, 2019). En conséquence, le genre masculin active majoritairement la catégorie des hommes, alors même qu’il est censé représenter aussi bien les femmes que les hommes. Parmi les études sur la langue française (voir aussi Gygax et al., 2008, 2012), Brauer et Landry (2008) ont montré que le générique masculin active moins de représentations féminines qu’une forme féminisée. Par exemple, quand les personnes participant à l’étude devaient imaginer et décrire un membre prototypique d’une profession présentée avec le générique masculin (par ex. les avocats), elles citaient moins souvent une femme que lorsque ce membre était présenté avec la forme féminisée (par ex., les avocats/avocates). Plus récemment, Liénardy et al. (2023) ont montré que les phrases contenant les formes inclusives (comme le point médian et les doublets) activent davantage de représentations mentales de femmes que les formes présentées au masculin générique. Quant aux résultats observés par Xiao et al. (2023), ils indiquent que le point médian et les doublets utilisés au sujet de noms de métiers présentés dans de courts textes suppriment ou réduisent globalement un biais masculin (consistant à surreprésenter les hommes par rapport au ratio femmes-hommes perçu dans différents groupes professionnels dans la vie réelle), voire même induisent un biais féminin (surreprésentation des femmes) pour les métiers associés à un stéréotype masculin. Tibblin et al. (2023a) ont obtenu des résultats similaires à ceux de Liénardy et al. (2023) et Xiao et al. (2023) lorsque des noms non-stéréotypés étaient présentés seuls (et non pas dans des textes) en testant plusieurs formes dont le masculin générique, le doublet (masculin-féminin et féminin-masculin), le point médian et une forme neutre. Il apparaît donc que l’utilisation de l’EI (quelle que soit sa forme) conduit à une représentation plus féminisée comparée au masculin générique.
Il convient toutefois de noter que Pozniak et al. (2024) ont observé des résultats différents de ceux de Tibblin et al. (2023a) et Xiao et al. (2023) concernant le point médian. Dans un contexte spécifique qui est celui des brochures universitaires, ces auteur·rice·s ont montré que seul le doublet complet augmente les représentations mentales des femmes, ce qui n’est pas le cas du point médian. Elles et ils suggèrent que le point médian serait affecté par une « dilution contextuelle », sa signification disparaissant dans des contextes riches ; cela ne serait pas le cas lorsque les noms sont présentés en isolation (comme dans Tibblin et al. 2023a) ou dans des textes courts (comme dans Liénardy et al., 2023, et Xiao et al., 2023). Par comparaison au générique masculin, l’intérêt du point médian est néanmoins confirmé par Spinelli et al. (2023), et ce, avec une méthodologie différente, une tâche d’évaluation de phrases, plutôt que dans le cadre de réponses à des questionnaires (comme c’était le cas dans toutes les études citées précédemment). Spinelli et al. (2023) ont mesuré les temps de réponse des participant·e·s ainsi que leurs scores de réponses correctes en comparant des phrases écrites avec le point médian « Un·e élève commençait à réviser » à des formes neutres non marquées par le genre (« L’élève commençait à réviser »). Le point médian apparaît comme plus efficace pour promouvoir le féminin et diminuer le biais masculin que les formes dites neutres.
Ainsi, quelles que soient les stratégies de reféminisation dans le langage écrit, les études scientifiques montrent que l’EI est une façon efficace de rendre les femmes plus visibles (Friedriech & Heise, 2019 ; Liénardy et al., 2023 ; Tibblin et al., 2023a, 2023b ; Xiao et al., 2023). Non seulement l’EI améliore les représentations mentales des femmes comparativement à l’écriture au masculin générique, mais en plus, et contrairement à ce qu’affirment ses détracteur·rice·s, elle ne ralentit pas les temps de lecture (Girard et al., 2022 ; Liénardy et al., 2023 ; Zami & Hemforth, 2024). Par exemple, Liénardy et al. (2023) ont montré que les lecteur·rice·s s’habituent rapidement à des formes inclusives de sorte que les phrases avec le point médian sont lues aussi rapidement que les mêmes phrases écrites au masculin générique (répliquant ainsi l’étude princeps de Gygax & Gesto, 2007 ; voir également Zami & Hemforth, 2024, pour des résultats similaires). En revanche, avec l’écriture au masculin générique, les individus sont moins susceptibles de penser aux femmes, ce qui affecte leur façon de se représenter le rôle de ces dernières dans la société (Bailey et al., 2019), et ce, dans la langue française comme dans d’autres langues dites à genre naturel (i.e., les langues qui marquent le genre sur les pronoms personnels uniquement, comme l’anglais ; e.g., Kollmayer et al., 2018).
Les processus psychologiques conduisant à l’acceptation ou au rejet de l’EI
L’EI permettant d’augmenter la représentation des femmes, il convient de comprendre les processus psychologiques qui conduisent à l’accepter (ou la rejeter). Sczesny et al. (2015) ont identifié les habitudes d’usage associées au masculin générique comme un processus susceptible de conduire au rejet de l’EI. En tant que forme la plus fréquente d’écriture (New et al., 2004), le masculin générique sera rappelé automatiquement et activé avec une contribution minimale des intentions et des attitudes, comme c’est le cas pour toutes les habitudes. Un deuxième processus pourrait être lié aux intentions explicites d’usage de cette forme d’écriture. En effet, Sczesny et ses collègues (2015) ont montré que l’utilisation de l’EI (utiliser une forme inclusive dans des textes à compléter) dépendait à la fois d’intentions favorables explicites et de processus liés à l’habitude (i.e., l’utilisation antérieure de l’EI).
Selon le modèle classique de l’action planifiée de Fishbein et Ajzen (2011), l’intention d’adopter un comportement relève de plusieurs facteurs. Les personnes auront l’intention d’utiliser l’EI (a) si elles ont une attitude favorable à l’égard de cette écriture, (b) si elles perçoivent (subjectivement) que c’est normatif pour elles (des individus importants pour elles adoptent ce comportement), et (c) si elles perçoivent un contrôle comportemental élevé ou une facilité à pratiquer l’EI. Autrement dit, selon le modèle de l’action planifiée, plus les individus auront des attitudes favorables, un contrôle perçu élevé envers l’EI et percevront subjectivement des normes soutenant cette écriture, plus leur intention de l’utiliser sera élevée. Tester à nouveau cette hypothèse, initialement éprouvée par Sczesny et al. (2015), auprès d’un public français, est le premier objectif de notre étude.
Par ailleurs, il a été montré de manière récurrente que les femmes soutiennent davantage le langage inclusif que les hommes (Matheson & Kristiansen, 1987 ; Parks & Roberton, 2004 ; Vervecken & Hannover, 2012). Pour Parks et Roberton (2004), le langage inclusif est très probablement rejeté par les hommes parce qu’il est susceptible de violer les prescriptions culturelles sur les rôles de genre, et que le langage androcentrique (générique masculin) sert à maintenir les femmes « à leur place ». En cohérence avec cette interprétation, Jost et Kay (2005) ont montré que les hommes perçoivent le système de relations entre les genres comme étant plus justifié que les femmes. Le rejet plus important des hommes à l’égard du langage inclusif relèverait ainsi de leur plus fort désir de statu quo dans les relations entre les genres, l’écriture au masculin générique reproduisant et perpétuant un statut social inégal entre les femmes et les hommes (Menegatti & Rubini, 2018). Les hommes auraient plus à perdre que les femmes avec l’utilisation du langage inclusif susceptible de remettre en cause leur position dominante entretenue notamment par le masculin générique. Dès lors, conformément aux travaux antérieurs (Matheson & Kristiansen, 1987 ; Parks & Roberton, 2004 ; Vervecken & Hannover, 2012), dans notre étude, les femmes devraient avoir plus l’intention d’utiliser l’EI que les hommes. Plus précisément, et en accord avec le modèle de l’action planifiée (Fishbein & Ajzen, 2011), elles devraient rapporter des attitudes plus positives, plus de contrôle perçu, plus de normes subjectives favorables à l’EI que les hommes, ce qui, en retour, les conduirait à avoir plus l’intention de l’utiliser. Tester cette hypothèse constitue le deuxième objectif de notre étude.
Les attitudes vis-à-vis de l’EI selon sa forme
Le troisième objectif, et l’originalité principale de notre étude, est exploratoire. Il s’agit de comparer les attitudes des individus selon sept formes d’EI (le point médian, le tiret, le point, le slash, la parenthèse, la majuscule, le doublet). Peu d’études à ce jour ont cherché à évaluer de potentielles différences d’attitudes selon la forme que peut prendre l’EI (Stalhberg et al., 2001 ; Stahlberg & Sczesny, 2001). À notre connaissance, il n’existe que quatre études scientifiques en français (Abbou, 2011, 2017 ; Burnett & Pozniak, 2021 ; Xiao et al., 2023). Dans les études réalisées par Abbou (2011, 2017), des brochures politiques anarchistes ont été analysées dans l’objectif de décrire les différentes formes d’EI utilisées. Des entretiens ont été également menés auprès de quatre anarchistes afin de recueillir leurs perceptions des différentes formes d’EI. Dans l’étude de Burnett et Pozniak (2021), il s’agissait d’analyser l’usage de l’EI dans des brochures pédagogiques provenant de 12 universités parisiennes. Même si les populations étudiées par Abbou et par Burnett et Pozniak ne sont pas représentatives de la population générale, les résultats obtenus permettent de formuler des hypothèses exploratoires.
Nous suggérons que si le rejet de l’EI relève d’une forme de résistance au changement « visant à conserver une norme androcentrique (et sexiste) qui ne correspond qu’à une certaine période de l’histoire du français » (Gygax et al., 2019, p. 12) et que l’écriture au masculin générique sert effectivement à légitimer une domination des hommes vis-à-vis des femmes (Douglas & Sutton, 2014 ; Menegatti & Rubini, 2018), alors une forme d’EI perçue comme féministe devrait être moins appréciée qu’une forme d’EI non associée à une forme de militantisme féministe.
Les formes d’EI associée au féminisme ou militantisme sont le point médian (« les étudiant·es ou étudiant·e·s ») et la majuscule (« les étudiantEs »). Le point médian est la forme la plus utilisée dans les brochures des universités les plus militantes, les moins prestigieuses, et est associée à l’activisme sur le genre et aux orientations politiques de gauche (Burnett & Pozniak, 2021). Bien que peu utilisée dans les corpus analysés par Abbou ou Burnett et Pozniak, la forme avec une majuscule est rejetée unanimement par les personnes interrogées (Abbou, 2017) et perçue comme relevant d’un féminisme différentialiste. De plus, cette variante de l’EI pourrait être dépassée selon Burnett et Pozniak (2021). Les formes d’EI avec la majuscule ou le point médian devraient donc être dépréciées, mais peut-être encore plus par les hommes que par les femmes en raison de leur association au féminisme.
Parmi les formes les plus appréciées, et pour lesquelles nous n’attendons pas d’effet du genre, devraient émerger le tiret (« les étudiant-es ou étudiant-e-s »), le point (« les étudiant.es ou étudiant.e.s ») et le doublet (« les étudiants et les étudiantes »). Le tiret et le point sont les formes préférées des personnes interrogées par Abbou (2017), car considérées comme lisibles et discrètes (Abbou, 2017). Burnett et Pozniak (2021) considèrent même le point comme la forme d’EI ayant la signification sociale la moins marquée et la plus neutre d’un point de vue politique, au point de s’en servir comme ligne de base pour la comparer aux autres formes d’EI dans leur étude. Le doublet devrait également être bien apprécié en tant que forme d’EI la plus conventionnelle et la moins surprenante, qui ne nécessite pas « d’innovations typographiques ou de ruptures visuelles » (Abbou, 2017, p. 58). De plus, avec le doublet, le masculin est conventionnellement placé en première position (sauf quelques exceptions), ce qui ne remet donc pas en question la position dominante des hommes (Kesebir, 2017). Précisons toutefois que l’utilisation du tiret peut sembler paradoxale : il est, d’une part, associé à une forme d’activisme plus ancienne que le point médian, apprécié des disciplines comme la sociologie ou les sciences politiques présentant un historique de militantisme autour des questions de genre et, d’autre part, préféré au point dans les disciplines à prédominance masculine (Burnett & Pozniak, 2021).
Parmi les formes ni vraiment appréciées, ni vraiment dépréciées (une sorte de ventre mou des formes d’EI), devraient se trouver le slash (« les étudiant/es ») et la parenthèse (« les étudiant(e)s »). Le slash n’est en effet pas associé à du féminisme et ne semble jugé que sur sa lisibilité (jugée faible) et ses difficultés techniques informatiques (il requiert une manipulation sur le clavier). De plus, il est rarement utilisé (Abbou, 2011, 2017 ; Burnett & Pozniak, 2021). La parenthèse est associée à une orientation politique conservatrice (Abbou, 2017, Burnett & Pozniak, 2021), et plus utilisée dans les universités avec une majorité d’hommes (également perçues comme les plus prestigieuses ; Burnett & Pozniak, 2021). Toutefois, elle est aussi perçue comme une forme susceptible de marginaliser les femmes, les dévaloriser symboliquement (le féminin est mis « entre parenthèses » ; Abbou, 2017). Cette variante de l’EI devrait donc être moins appréciée par les femmes que par les hommes.
Enfin, il nous a paru intéressant de proposer le masculin générique comme choix d’écriture appréciée ou dépréciée en plus des sept formes d’EI. Le masculin générique est en effet l’écriture apprise à l’école et utilisée majoritairement par la population. C’est celle pour laquelle des automatismes ont été acquis, nécessitant moins d’effort cognitif pour l’utiliser. Cette écriture familière devrait être donc plutôt appréciée. Par ailleurs, le masculin générique est associé au prestige et à la domination masculine (Burnett & Pozniak, 2021, Gygax et al., 2019). Cette forme devrait dès lors être plus appréciée par les hommes que par les femmes.
Méthode
Échantillon
Une analyse de puissance a été réalisée en utilisant G*Power (Erdfelder et al., 1996). Nous avons utilisé une taille d’effet moyenne (f = .25, Cohen, 1988) pour ANOVA. En accord avec cette analyse de puissance, un échantillon de 231 participants était requis pour obtenir un niveau de puissance de .80 avec un prédicteur à 7 groupes (f = .25, α = .05, Power = .80). Deux cent trente-quatre personnes ont été initialement sollicitées pour participer à l’étude. Ces personnes ont été dédommagées pour leur participation (20,30 euros de l’heure). Une fois les critères d’exclusion a priori appliqués (genre, langue maternelle, contrôle de la qualité des données et de la passation en ligne), l’échantillon était constitué de 214 personnes françaises et vivant en France, 116 hommes (54.2 %) et 98 femmes (45.8 %) d’âge moyen de 32.28 ans (ET = 9.92, min = 19, max = 68). L’échantillon était plutôt éduqué puisque la majorité des participant·e·s avait au moins le baccalauréat ou équivalent (91.1 %). Après application des critères d’exclusion, nous n’atteignons pas l’échantillon minimum. Nous avons effectué une analyse de sensibilité qui indique qu’avec un échantillon de 214, un f ≥ .25 (d = .51) devrait être suffisant pour rejeter l’hypothèse nulle à un seuil de α = .05 et une puissance de 80 % pour une ANOVA à 7 groupes indépendants. Ce qui signifie que notre plan expérimental est assez puissant pour détecter des effets de taille moyenne (.25 ≤ f ≤ .40, .50 ≤ d ≤ .80) ou grande (f > .40, d > .80) mais pas pour détecter des effets de petites tailles (.10 ≤ f < .25, .20 ≤ d < .50) pour lesquels il faudrait davantage de participant·e·s. Des détails concernant la population, la méthodologie, les analyses complémentaires, ainsi que la base de données sont disponibles sur la plateforme OSF (https://osf.io/bycqj/).
Procédure
Les participant·e·s ont été recruté·e·s en ligne grâce à la plateforme Profilic (https://www.prolific.com/). Après avoir lu le formulaire de non-opposition, les participant·e·s prenaient connaissance d’un des 7 descriptifs associés à une forme d’écriture inclusive (voir Tableau 1 et le matériel disponible sur OSF). Le descriptif présentait la recherche comme ayant pour but d’identifier les avis et opinions des gens vis-à-vis de l’EI. Il était précisé que l’EI permettait de représenter la forme féminine dans la langue française. Pour chaque condition, une forme spécifique était présentée (e.g., « Le point médian est utilisé pour ajouter un marqueur du féminin à la forme masculine »), accompagnée d’un exemple (« Les étudiant·e·s ont bien réussi leur examen cette année. Les professeur·e·s ont exprimé leur satisfaction »). Il était ensuite indiqué qu’il existait d’autres manières d’utiliser l’EI et les six autres formes étaient présentées succinctement. Les participant·e·s ne devaient s’exprimer que sur la forme spécifique présentée (e.g., « Nous vous demandons de vous exprimer uniquement sur la forme inclusive utilisant le point médian »).
Les participant·e·s devaient ensuite répondre à un ensemble de questions concernant leur attitude, leur perception subjective des normes et leur perception de contrôle quant à l’utilisation de la forme d’EI présentée, leur habitude, leur intention d’utiliser cette EI, ainsi que leur connaissance et intérêts pour les débats qui concernent l’EI en général. Enfin, les participant·e·s devaient renseigner leurs données démographiques (voir Tableau S1 dans le supplément OSF).
Matériel
Manipulation des formes d’écritures et contrôle de manipulation
Sept formes d’EI étaient présentées dans l’étude sous un plan interparticipant·e·s (voir Tableau 1). Ces formes sont inspirées de Abbou (2011, 2017) et comprenaient le point médian, le doublet, le slash ou barre oblique, le point, le tiret, la parenthèse et la majuscule.
Tableau 1. Formes d’écriture inclusive utilisées dans l’étude
FORMES D’EI |
Exemples |
Exemples expérimentaux |
POINT MÉDIAN |
étudiant·e·s |
« Les étudiant·e·s ont bien réussi leur examen cette année. Les professeur·e·s ont exprimé leur satisfaction ». |
DOUBLET |
étudiants et étudiantes |
« Les étudiants et étudiantes ont bien réussi leur examen cette année. Les professeures et professeurs ont exprimé leur satisfaction ». |
SLASH |
étudiants/es |
« Les étudiants/es ont bien réussi leur examen cette année. Les professeurs/eures ont exprimé leur satisfaction ». |
POINT |
étudiant.e.s |
« Les étudiant.e.s ont bien réussi leur examen cette année. Les professeur.e.s ont exprimé leur satisfaction ». |
TIRET |
étudiant-e-s |
« Les étudiant-e-s ont bien réussi leur examen cette année. Les professeur-e-s ont exprimé leur satisfaction ». |
PARENTHÈSE |
étudiant(e)s |
« Les étudiant(e)s ont bien réussi leur examen cette année. Les professeur(e)s ont exprimé leur satisfaction ». |
MAJUSCULE |
étudiantEs |
« Les étudiantEs ont bien réussi leur examen cette année. Les professeurEs ont exprimé leur satisfaction ». |
Une fois que les participant·e·s avaient pris connaissance de la forme d’EI à considérer, une question de contrôle de leur attention leur était posée. Les participant·e·s devaient choisir, parmi les 7 variantes proposées, quelle était la forme d’EI qui leur avait été présentée et sur laquelle elles ou ils devaient donner leur avis. En cas d’erreur, les participant·e·s étaient exclu·e·s des analyses.
Prédicteurs de l’utilisation de l’écriture inclusive
Les prédicteurs de l’utilisation de l’EI, c’est-à-dire, les attitudes, le contrôle perçu et les normes perçues, ont été évalués à l’aide de 20 items adaptés de Sczesny et al. (2015, étude 1) et présentés dans un ordre aléatoire pour chaque participant·e. Tous les items étaient mesurés sur des échelles en 7 points allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord). Les attitudes positives étaient mesurées à l’aide de 8 items (i.e., « Je n’aime pas l’écriture inclusive utilisant [forme EI] » ; item renversé, α = .94). La perception de contrôle comportemental était mesurée par 7 items (i.e., « Pour moi, l’écriture inclusive basée sur [forme EI] est difficile à utiliser », = .85). Enfin, la perception des normes était mesurée par 5 items. Conformément à Sczesny et al. (2015), nous avons créé 2 indicateurs de perception de la norme, un indicateur de norme positive incluant 3 items (i.e., « La plupart des personnes qui ont de l’importance pour moi utilisent l’écriture inclusive avec [forme EI] ; α = .80) ; et un indicateur de norme négative incluant 2 items (i.e., « La plupart des personnes qui ont de l’importance pour moi désapprouvent l’écriture inclusive utilisant [forme EI] » ; r = .67, p < .001).
Utilisation future et passée de l’écriture inclusive
Pour mesurer l’utilisation future de l’EI, il était demandé de se positionner sur une échelle allant de 1 (pas du tout d’accord) à 7 (tout à fait d’accord) afin d’exprimer son degré d’accord avec l’item « L’écriture inclusive utilisant [forme EI] est quelque chose que je pourrais utiliser dans le futur à l’écrit ». L’utilisation passée de l’EI était mesurée en demandant aux participant·e·s de rapporter sur une échelle en 7 points allant de 1 (jamais) à 7 (toujours) si elles ou ils avaient utilisé l’écriture inclusive au cours des derniers mois. L’utilisation passée et future sont reliées positivement, r = .52, p < .001.
Préférence pour les formes d’écritures
Pour mesurer la préférence envers une forme d’écriture, les participant·e·s se voyaient proposer les 7 formes d’EI auxquelles s’ajoutait le masculin générique (« Les étudiants »). Il était précisé que cette forme était considérée comme neutre dans la grammaire française. Les participant·e·s devaient choisir parmi les 8 propositions (incluant le masculin générique) laquelle elles ou ils préféraient le plus et laquelle elles ou ils préféraient le moins. Les participant·e·s ne pouvaient pas choisir la même forme d’écriture comme étant à la fois, la plus, et la moins appréciée.
Connaissance et intérêt pour les débats autour de l’écriture inclusive
Afin de contrôler dans nos analyses les éventuelles influences de la connaissance et de l’intérêt pour les débats autour de l’EI, nous les mesurions par 2 items. Les participant·e·s devaient rapporter sur une échelle de 1 (pas du tout) à 7 (extrêmement) à quel point elles ou ils connaissaient les débats sociétaux autour de l’écriture inclusive ces dernières années et à quel point ces débats les intéressaient (r = .53, p < .001).
Données démographiques
Il était demandé aux participant·e·s d’indiquer leur âge, genre, niveau d’éducation, langue maternelle et lieu de résidence (France ou non). Pour un descriptif détaillé voir Tableau S1 dans le supplément de matériel.
Résultats
Analyses principales
Perception générale de l’EI et effet du genre
D’une façon générale, les participant·e·s ont une attitude modérément négative envers l’EI (M = 3,55 ; ET =1,55), perçoivent son utilisation comme modérément facile (M = 3,71 ; ET =1,39) et perçoivent leur entourage comme peu favorable à l’EI (Mnormepositive = 2,46 ; ET =1,27 ; Mnormenégative = 3,08 ; ET = 1,68). Les participant·e·s utilisent peu l’EI (M = 2,90 ; ET = 2,08), mais ont un peu plus l’intention de l’utiliser dans le futur (M = 3,65 ; ET = 2,09). Elles ou ils connaissent et se disent moyennement intéressé·e·s par le débat autour de l’EI (M = 3,63 ; ET = 1,43). Ces évaluations ne sont pas influencées par le niveau d’étude des participant·e·s (tous les F(4, 209) < 1.69, ps >.15). Elles ne sont pas non plus influencées par l’âge (tous les F < .085, ps >. 215) à l’exception du contrôle comportemental perçu pour lequel plus l’âge est élevé, moins le contrôle perçu est élevé (r = -.18, p <.001, pour un détail des relations entre les variables voir le Tableau S2 dans le supplément de matériel sur OSF).
Lorsque l’on examine les différences de genre, on observe un effet consistant de ce dernier (voir Tableau 2), selon lequel les femmes ont des attitudes plus positives envers l’EI, perçoivent plus de contrôle quant à son utilisation, perçoivent dans l’ensemble leur entourage comme moins désapprobateur, se montrent plus intéressées par le sujet que les hommes. Les femmes rapportent avoir utilisé plus l’EI par le passé et vouloir plus l’utiliser que les hommes dans le futur.
Tableau 2. Effet du genre sur les variables dépendantes
|
Hommes n = 116 |
Femmes n = 98 |
t-test4 (df =212) |
d de Cohen |
||
Variables |
M |
SD |
M |
SD |
||
Attitudes |
3,10 |
1,49 |
4,07 |
1,45 |
-4,79*** |
-,658 |
Norme positive |
2,31 |
1,29 |
2,64 |
1,24 |
-1,94* |
-,265 |
Norme négative |
3,56 |
1,76 |
2,78 |
1,48 |
3,46*** |
,475 |
Contrôle perçu |
3,43 |
1,38 |
4,04 |
1,34 |
-3,26*** |
-,448 |
Utilisation future |
3,16 |
2,06 |
4,23 |
1,97 |
-3,85*** |
,529 |
Utilisation passée |
2,44 |
1,89 |
3,45 |
2,17 |
-3,63*** |
,499 |
Connaissance et intérêt pour les débats |
3,36 |
1,41 |
3,94 |
1,38 |
-3,05*** |
-,419 |
|
Processus explicatifs liés à l’intention d’utiliser l’IE dans le futur
Nous avons fait l’hypothèse que les femmes devraient rapporter des attitudes plus positives, plus de contrôle perçu, plus de normes favorables à l’écriture inclusive que les hommes, ce qui en retour les conduirait à avoir plus l’intention de l’utiliser. Pour tester cette hypothèse, un modèle de médiation parallèle5 a été examiné dans lequel le genre des participant·e·s (0 = hommes, 1 = femmes) prédit l’intention d’utiliser l’EI dans le futur, médiatisé par l’attitude, la perception des normes comme étant positives ou négatives par rapport à l’EI, la perception de contrôle vis-à-vis de l’EI. Nous avons intégré dans ce modèle l’utilisation passée, la connaissance et l’intérêt pour les débats comme covariants dans la mesure où ces deux variables étaient reliées significativement à toutes les autres variables6 (le détail des analyses est disponible dans les analyses supplémentaires sur OSF, voir Tableau S7 et S8). Pour plus de simplicité, nous ne détaillons pas les effets des covariants. Le modèle a été évalué à l’aide de la macro PROCESS 4.1 (Hayes, 2022 ; modèle 4), avec des intervalles de confiance bootstrapped de 95 % (5 000 itérations). La médiation a été avérée lorsque les intervalles de confiance de ou des effets indirects ne contiennent pas zéro. La Figure 1 présente le résumé du modèle de médiation.
Comme on peut le voir sur cette figure, les analyses révèlent que le genre des participant·e·s influence significativement les attitudes (b = .49, SE = .17, p = .004) et la perception des normes comme étant négatives (b = -.50, SE = .22, p = .023), mais n’influence ni la perception de contrôle (b = .26, SE = .17, p = .127), ni la perception des normes positives (b = .04, SE = .20, p = .814). Ainsi, les femmes ont des attitudes plus favorables et perçoivent moins de désapprobation par leurs pairs vis-à-vis de l’utilisation de l’EI que les hommes. À leur tour, les attitudes (b = .83, SE = .09, p < .001) et la perception des normes négatives (b = -.11, SE = .05, p = .039) influencent les participant·e·s quant à leur intention d’utiliser l’EI. L’intention d’utiliser l’EI est plus élevée lorsque les attitudes sont favorables envers l’EI et lorsque les normes sont perçues comme n’étant pas ou étant peu désapprobatrices. Elle l’est aussi plus lorsque les participant·e·s ont un fort sentiment de contrôle sur l’EI (b = .22, SE = .08, p = .01).
Notre modèle révèle, néanmoins, que seules les attitudes expliquent la relation initiale qui existe, dans notre échantillon, entre le genre des participant·e·s et leur intention d’utiliser l’EI (b = .49, SE = .24, p = .046). En effet, l’effet statistique attestant de la médiation n’est significatif que pour cette variable (effet indirect = .40, SE = .15, 95 %CI [0.12 ; 0.70]). Ces résultats suggèrent, comme attendu, que l’effet du genre sur l’intention d’utiliser l’EI s’explique par l’influence que le genre a sur les attitudes. Autrement dit, les femmes déclarent avoir plus l’intention d’utiliser l’EI dans le futur parce qu’elles ont une attitude plus favorable que les hommes à son égard.
Analyses exploratoires
Une série d’ANOVA7 révèle que la présentation des différentes écritures en début d’étude n’affecte globalement pas les évaluations de l’EI de manière significative (voir Tableau 3). Comme l’indique le Tableau 3, les analyses révèlent un effet de la présentation sur les attitudes et les intentions d’utiliser l’EI selon lequel les participant·e·s ont des attitudes moins favorables (F(6, 207) = 2.25, p = .04, n2p = .061) et ont moins l’intention d’utiliser (F(6, 207) = 3.10, p = .006, n2p = .083) la forme majuscule que celle du doublet. Il est à noter des effets tendanciels pour les normes qui épousent le même pattern quand les comparaisons post-hoc de Bonferroni sont considérées. En effet, la majuscule est à la fois la forme la plus désapprouvée et la moins valorisée en comparaison du doublet (respectivement pour les normes positives et négatives : F(6, 207) = 2.04, p = .06, n2p = .056 et F (6, 207) = 2.10, p = .054, n2p = .057). Au regard des moyennes, la majuscule comme marquage du féminin semble être la moins appréciée par les participant·e·s.
Tableau 3. Moyennes et écart-type par forme d’EI présentées en début d’étude
Formes d’EI présentées |
||||||||||
Variables |
Point médian n =35 |
Dou-blet n =32 |
Slash n =33 |
Point n =22 |
Tiret n =32 |
Paren-thèse n =28 |
Maju-scule n =32 |
F |
n2p |
|
Attitude |
M |
3,56 |
4,25 |
3,63 |
3,79 |
3,41 |
3,41 |
2,95 |
2,25* |
.061 |
ET |
1,76 |
1,46 |
1,17 |
1,95 |
1,47 |
1,47 |
1,47 |
|||
Norme positive |
M |
2,53 |
2,88 |
2,57 |
2,79 |
2,3 |
2,36 |
1,91 |
2,04† |
.056 |
ET |
1,27 |
1,37 |
1,12 |
1,59 |
1,06 |
1,44 |
1,01 |
|||
Norme négative |
M |
2,93 |
2,52 |
3,27 |
3,61 |
3,11 |
3,38 |
3,81 |
2,1† |
.057 |
ET |
1,62 |
1,28 |
1,69 |
1,94 |
1,65 |
1,66 |
1,79 |
|||
Contrôle perçu |
M |
3,62 |
4,13 |
3,71 |
3,82 |
3,45 |
3,79 |
3,52 |
0,83 |
.023 |
ET |
1,32 |
1,36 |
1,29 |
1,68 |
1,27 |
1,38 |
1,54 |
|||
Utilisation future |
M |
3,77 |
4,75 |
4,00 |
3,09 |
3,59 |
3,36 |
2,78 |
3,1** |
.083 |
ET |
2,32 |
1,92 |
1,95 |
2,05 |
2 |
2,13 |
1,81 |
|||
Utilisation passée |
M |
2,74 |
3,47 |
3,21 |
2,91 |
2,72 |
2,21 |
2,97 |
1,11 |
.031 |
ET |
2,06 |
2,09 |
2,04 |
2,09 |
2,13 |
2,06 |
2,07 |
|||
Connais-sance |
M |
3,91 |
3,52 |
3,59 |
3,93 |
3,66 |
3,05 |
3,75 |
1,24 |
.035 |
et débats |
ET |
1,32 |
1,19 |
1,56 |
1,6 |
1,69 |
1,34 |
1,25 |
||
|
Préférences pour les différentes formes d’écriture
En ce qui concerne les préférences pour les différentes formes d’écriture, le doublet est la forme préférée (22,9 %) suivi du point (17,3 %), du masculin générique (15,4 %), du point médian (15 %), de la parenthèse (14,5 %), du slash (7,5 %), du tiret (5,1 %) et de la majuscule (2,3 % ; Khi2 (7) = 56,88 ; p <.001). La majuscule est la forme la moins appréciée (41,6 %), suivi du point médian (13,1 %), du slash (11,2 %), du masculin générique (8,4 %), de la parenthèse (7,9 %), du doublet (7 %), du point (6,5 %) et du tiret (5,2 % ; Khi2 (7) = 174,64 ; p <.001).
Ces répartitions diffèrent en fonction du genre des participant·e·s (respectivement pour la forme la moins et la plus appréciée : Khi2(7) = 14,71 ; p = .04 et Khi2(7) = 18,50 ; p = .01). Parmi les formes les moins appréciées, les comparaisons 2 à 2 (voir Figure 2) révèlent que les hommes apprécient moins que les femmes la forme du point médian (Khi2(1) = 5,61 ; p = .018, pFischer = .024), alors que les femmes apprécient moins que les hommes la forme du masculin générique (Khi2(1) = 5,53 ; p = .019, pFischer = .025). Parmi les formes les plus appréciées, on constate que les femmes apprécient plus la forme du point que les hommes (Khi2(1) = 4,82 ; p = .028, pFischer = .031). On observe une tendance inverse et marginale en ce qui concerne le masculin générique qui est, en conséquence, plus apprécié par les hommes que par les femmes (Khi2(1) = 3,77 ; p = .052, pFischer = .059). Il n’est observé aucune autre différence significative entre les hommes et les femmes sur les autres formes d’EI. Le détail des répartitions et analyses est disponible dans les analyses supplémentaires sur OSF (voir les tableaux S4, S5 et S6).
Figure 2. Répartition (en pourcentages) des hommes et des femmes selon la forme d'écriture la plus appréciée (haut du graphique) et la moins appréciée (bas du graphique)
Discussion
Parce que l’EI fait l’objet de résistances au sein de la société française (Burnett & Pozniak, 2021 ; Pozniak et al., 2024), notamment au niveau institutionnel (e.g., proposition de loi du Sénat ; l’Académie française évoquant un danger mortel pour le français en tant que langue), le premier objectif de notre étude était de faire un état des lieux sur la perception de l’EI en France en 2024, et ce, en examinant les attitudes, les normes subjectives et le contrôle perçu, (i.e., les processus psychologiques qui conduisent à l’intention ou non d’utiliser cette écriture). Il apparaît, qu’en moyenne, les personnes interrogées dans notre étude présentent une attitude plutôt neutre, voire modérément négative, envers l’EI, perçoivent la facilité de son utilisation avec la même neutralité et perçoivent plus nettement les personnes importantes pour elles·eux comme peu favorables à l’EI. Les participant·e·s utilisent personnellement peu cette écriture, et si leur intention de l’utiliser dans le futur est supérieure à leur utilisation actuelle, elle reste, elle aussi, modérément négative, comme leur intérêt pour le débat autour de l’EI. En résumé, en 2024, l’EI n’enthousiasme pas les personnes interrogées.
En accord avec le modèle de Fishbein et Ajzen (2011), et indépendamment du genre des participant·e·s, les attitudes, le contrôle perçu, et les normes négatives concernant l’EI prédisent bien l’intention de l’utiliser. Ainsi, plus les personnes ont des attitudes positives, se sentent capables d’y recourir, plus elles auront l’intention de l’utiliser. A contrario, plus elles pensent que les personnes importantes pour elles rejettent cette écriture (normes subjectives négatives), moins elles auront l’intention de l’utiliser. De manière surprenante, les personnes importantes pour les participant·e·s qui seraient favorables à l’EI (i.e., normes subjectives positives) n’influencent pas l’intention de l’utiliser. En conséquence, seules les normes négatives sont inversement liées à l’intention d’usage de l’EI. La question de savoir dans quelle mesure le contexte politique et institutionnel général et hostile à l’EI fait écho, dans l’esprit des individus sondés, à la vision négative que leur entourage possède à ce sujet, reste complètement ouverte.
La prise en compte des différentes formes d’écriture ne remet pas en cause ces résultats généraux sur les attitudes, normes et intention vis-à-vis de l’EI, mais elle nous permet d’affiner l’analyse des perceptions des participant·e·s, même si la prudence est de mise en raison de la petite taille de l’échantillon. Les personnes sondées rapportent une attitude moins positive et ont moins l’intention d’utiliser la forme majuscule de l’EI que la forme du doublet. La perception des normes suit le même pattern, de manière marginalement significative. Autrement dit, les participant·e·s tendent à penser que les personnes importantes à leurs yeux utilisent plus et rejettent moins le doublet que la majuscule. Ces attitudes, intentions et perceptions subjectives des normes vis-à-vis du doublet et de la majuscule corroborent le classement effectué par les participant·e·s sur leur forme d’écriture préférée, classement que nous discuterons dans le cadre de notre troisième objectif.
Le deuxième objectif dans notre étude était de tester si la perception plus favorable de l’EI observée dans la littérature chez les femmes comparativement aux hommes (Matheson & Kristiansen, 1987 ; Parks & Roberton, 2004 ; Vervecken & Hannover, 2012) s’explique par des attitudes plus positives, plus de contrôle perçu, plus de normes favorables et moins de normes défavorables à l’égard de l’EI chez les femmes, ce qui les conduirait à avoir plus l’intention de l’utiliser. Conformément à notre hypothèse, comparativement aux hommes, les femmes ont des attitudes plus positives envers l’EI, perçoivent plus de contrôle quant à son utilisation, perçoivent dans l’ensemble leur entourage comme moins désapprobateur (i.e., moins de normes subjectives négatives) et rapportent vouloir davantage l’utiliser. Elles se montrent également plus intéressées par le sujet et estiment avoir plus utilisé l’EI que les hommes par le passé. Comparativement aux femmes, les hommes semblent plus sensibles à la pression négative exercée par les personnes importantes pour eux (normes subjectives négatives) qui rejettent l’EI. Le résultat sur les normes subjectives négatives va dans le sens de l’argument de Parks et Roberton (2004) selon lequel le langage inclusif serait rejeté par les hommes parce qu’il est susceptible de déroger aux prescriptions culturelles sur les rôles de genre. Comme nous l’avons argumenté en introduction, le groupe des hommes a plus à perdre que le groupe des femmes avec l’utilisation de l’EI qui remet plus en cause leur position dominante que le masculin générique.
Notre étude montre également que le genre des participant·e·s prédit l’intention d’utiliser l’EI uniquement via les attitudes envers cette écriture. Ainsi, c’est avant tout parce que les femmes ont des attitudes plus positives que les hommes envers l’EI, qu’elles ont plus l’intention de l’utiliser que ces derniers. En revanche, les différences d’intention d’utiliser l’EI entre les femmes et les hommes ne relèvent significativement ni de l’acceptation ou du rejet de cette écriture par des personnes qui comptent pour elles·eux (i.e., des normes positives et négatives), ni du contrôle perçu. En ce qui concerne l’absence de lien significatif entre le contrôle perçu et l’intention d’usage, nos résultats se rapprochent de ceux de Sczesny et al. (2015, étude 2) qui n’avaient montré qu’un lien faible et tendantiel (p < .10). Ces autrices avaient ainsi démontré que c’était plutôt le niveau de sexisme (moderne et néo-sexisme) des personnes interrogées qui prédisaient négativement leurs attitudes envers l’EI, qui à leur tour prédisaient négativement l’intention d’usage. Le niveau de sexisme non mesuré dans notre étude, mais observé comme plus élevé chez les hommes dans certaines recherches (e.g., Glick et al., 2004 ; Russell and Trigg, 2004 ; Roets et al., 2012) pourrait ainsi expliquer nos résultats, plus que le contrôle comportemental perçu (comme c’est le cas dans l’étude de Scezny et al. 2015). Par ailleurs, nous n’observons pas non plus de lien entre l’intention d’usage et les normes, mais il est possible qu’avec une taille d’échantillon plus importante, ce lien ressorte, en particulier pour les normes négatives dans la mesure où nous avons observé qu’elles étaient plus fortement perçue chez les hommes que chez les femmes. À notre sens, le rôle clé des attitudes dans l’intention d’utiliser l’EI (plus forte chez les femmes que chez les hommes) devra, à l’avenir, être réfléchi au regard des rapports de domination qui caractérisent les relations entre les femmes et les hommes. Les hommes ont-ils un désir de maintenir le statu quo des rapports de genre plus fort que les femmes qui les conduit à avoir des attitudes moins positives envers cette écriture ? Comme suggéré par Douglas et Sutton (2014), la relation entre le genre et les attitudes à l’égard du langage relèverait d’idéologies plus larges qui servent à maintenir les femmes « à leur place ».
Le troisième objectif de la présente étude était exploratoire et il s’agissait d’examiner si les perceptions envers l’EI dépendaient de sa forme. Quelles que soient les formes proposées, nous retrouvons le même résultat général : l’EI n’enthousiasme pas les personnes interrogées. De plus, l’effet de genre est indépendant de la forme d’EI : quelle qu’elle soit, les femmes présentent des attitudes plus positives, un meilleur contrôle perçu et une plus faible perception de normes subjectives négatives envers l’EI que les hommes. Toutefois, deux formes d’EI semblent se distinguer dans la perception des participant·e·s : les répondant·e·s ont des attitudes plus favorables envers le doublet qu’envers la majuscule, et ont plus l’intention d’utiliser le premier que la seconde.
De manière exploratoire, nous avons aussi demandé aux participant·e·s, quelle que soit la forme d’EI à laquelle elles·eux ont été exposé·e·s de choisir leur forme d’écriture la plus appréciée et leur forme la moins appréciée parmi sept formes possibles d’EI et le masculin générique. Les résultats indiquent que, globalement, et comme attendu, le doublet est la forme la plus appréciée. Il est important de souligner que dans le doublet « classique » que nous avons proposé, la forme masculine est citée en premier, ce qui place les hommes en position dominante (Gygax et al., 2019). L’écriture inclusive semble donc plus appréciée lorsqu’elle ne remet pas en cause de manière trop radicale la domination masculine. A l’opposé du doublet, et comme attendu, la majuscule est la forme la moins appréciée et la plus dépréciée. La dépréciation forte de la majuscule (42 % des répondant·e·s la déprécient) peut s’expliquer, comme nous le suggérions en introduction, par son association à un militantisme féministe (Abbou, 2011, 2017 ; Burnett & Pozniak, 2021) dont nous savons qu’il est mal perçu (Roy et al., 2007) et à la survalorisation symbolique des femmes (Abbou, 2017). Il est également possible que cette forme particulière d’EI ne soit pas intégrée dans les représentations mentales des personnes en raison de sa rareté. Nous observons ainsi que la forme la plus dépréciée (la majuscule) et la forme la plus appréciée (le doublet) le sont autant par les femmes que par les hommes. En raison du caractère conventionnel très automatisé de la première place occupée par le masculin dans les doublets (sauf rares exceptions dans le cas de la famille, Kesebir, 2017), il est possible que les femmes (mais aussi les hommes) n’aient pas conscience du sexisme associé à cette norme androcentrique. A l’inverse, avec la majuscule, les répondant·e·s, quel que soit leur genre, auraient bien conscience de la rupture avec l’androcentrisme. Autrement dit, cette absence d’effet de genre sur le doublet (le plus apprécié) et la majuscule (la moins appréciée et la plus dépréciée) pourrait témoigner chez les deux groupes de genre d’une certaine difficulté à remettre en cause le système de domination masculine présent dans le langage.
Le slash et la parenthèse sont, comme attendu, dans le ventre mou de l’appréciation des formes d’EI : peu appréciées et peu dépréciées. Autrement dit, ces formes ne produisent pas de jugements polarisés. Nous suggérons que l’évaluation du slash serait plus basée sur des considérations « pratiques » qu’idéologiques : la faible lisibilité et la faible technicité sur le clavier (Abbou, 2017). La marginalisation et dévalorisation symbolique du féminin via l’utilisation de la parenthèse (Abbou, 2017) et le conservatisme (Burnett & Pozniak, 2021) associé à cette forme sont soit peu perçus, soit ne posent pas de problème. Cette seconde explication concorde bien avec l’idée que moins la forme d’EI remet en cause la norme andocentrique, i.e., la domination masculine, mieux elle est perçue, et ce, aussi bien par les femmes que par les hommes (pas d’effet de genre sur la parenthèse, contrairement à notre attente). La parenthèse étant privilégiée par les universités prestigieuses qui sont aussi à prédominance masculine (Burnett & Pozniak, 2021), nous pouvons suggérer au regard des arguments de Eckert (1989) et Trudgill (1972) que les femmes l’apprécient autant que les hommes parce qu’elle est utilisée par des groupes prestigieux.
La parfaite adéquation du masculin générique avec la norme androcentrique peut expliquer sa plutôt bonne appréciation (la 3e forme d’écriture préférée), et sa faible dépréciation (8,4 % des répondant·e·s la déprécient). Les hommes apprécient plus le masculin générique que les femmes. Cela pourrait traduire une plus forte motivation à justifier le statu quo de genre chez le groupe dominant, comme montré par Jost et Kay (2005).
Sur la base des travaux d’Abbou (2017) et de Burnett et Pozniak (2021), le tiret aurait dû être plus apprécié car il est perçu comme lisible et discret. En fait, il ne rencontre pas d’intérêt significatif mais n’est pas rejeté non plus (environ 5 % d’appréciation et de dépréciation). L’activisme associé au tiret en sociologie et sciences politiques (Burnett & Pozniak, 2021) ne semble pas être perçu. Une future étude comprenant des entretiens dont l’objectif serait de connaître les représentations détaillées associées au tiret pourrait éclaircir cet aspect.
Enfin, le point et le point médian devaient être respectivement apprécié et déprécié selon les résultats obtenus par Abbou (2017) et Burnett et Pozniak (2021). Le point arrive bien en deuxième position des formes les plus appréciées, et le point médian est classé en deuxième position des formes dépréciées même si son taux de rejet n’est pas très élevé (13,1 %). Le fait que le point soit plus apprécié que le point médian pourrait être interprété par sa moins grande contribution à la délégitimation de la norme androcentrique. Le point serait perçu comme une forme moins polémique, car moins associée au militantisme et à des orientations politiques de gauche que le point médian (e.g., Burnett & Pozniak, 2021). Il pourrait être également plus apprécié en raison de sa plus grande simplicité d’usage sur clavier (par rapport au point médian). Il conviendra de tester ces hypothèses dans de futures études. On observe également un effet de genre sur l’appréciation de ces deux formes : les hommes les apprécient moins que les femmes. Nous attendions bien cet effet de genre sur l’appréciation du point médian qui est moins utilisé dans les disciplines où les hommes sont le plus représentés numériquement et qui est identifié comme une forme avec une signification sociale des plus marquées (Burnett & Pozniak, 2021). En revanche, nous n’attendions pas de différence d’appréciation du point entre les femmes et les hommes. Cela peut signifier que le point n’est peut-être pas perçu de façon aussi neutre (Burnett & Pozniak, 2021) et discrète (Abbou, 2017) qu’envisagé dans les études antérieures. Le point, tout comme le point médian, pourraient donc être perçus davantage par les hommes que par les femmes comme des formes d’EI menaçant le statu quo de genre. Ces deux formes pourraient également être perçues par les femmes comme un moyen de rétablir plus d’égalité dans l’écriture. Il serait donc intéressant à l’avenir d’examiner les représentations détaillées que les personnes possèdent au sujet de ces deux variantes d’EI.
Il ressort de ce classement des différentes formes d’EI et du masculin générique que les femmes comme les hommes préfèrent éviter d’utiliser des formes qui risqueraient de les faire passer pour des féministes activistes (Roy et al, 2009) et vont ainsi se reporter sur des formes plus acceptables d’EI comme le doublet. Autrement dit, les individus semblent privilégier les formes d’EI qui remettent moins en cause la norme androcentrique. Même si le doublet « classique » avec le masculin en premier (à l’exception du domaine de la famille) a montré une certaine efficacité pour augmenter la visibilité des femmes dans la société (Pozniak et al., 2024 ; Tibblin et al., 2023 ; Xiao et al., 2023), cet ordre n’est pas complétement favorable aux femmes. En effet, si l’ordre est inversé (le féminin est placé en première position), les représentations mentales deviennent plus favorables aux femmes (Gabriel et al., 2008 ; Kesebir, 2017). Il convient donc de mener des études complémentaires, notamment en étudiant l’appréciation et les effets associés à un doublet où le féminin serait cité en premier. Ainsi, l’analyse exploratoire de la perception des différentes formes d’EI ouvre plus de perspectives de recherche qu’elle n’apporte de certitude. Mais c’est bien là tout l’enjeu de la dimension exploratoire de cet aspect de notre étude.
Plusieurs limites peuvent être soulignées concernant cette étude. Tout d’abord, l’échantillon utilisé n’est ni assez important (entraînant des problèmes de puissance dans nos analyses statistiques), ni complètement représentatif de la population générale. En effet, les personnes interrogées étaient plutôt plus diplômées que la moyenne française. Les résultats sont donc à prendre avec précaution. De plus, nous avons étudié les perceptions des variantes de l’EI uniquement chez des personnes s’identifiant comme femme ou homme. Il conviendra d’interroger d’autres groupes de personnes comme les personnes non-binaires, pangenrées ou gender-fluide. Nous n’avons pas non plus exploré les perceptions que les individus peuvent avoir des formes contractées potentiellement non binaires (e.g., auditeurice, observateurice). Par ailleurs, il s’agit d’un questionnaire auto-administré pour lequel des problèmes de désirabilité sociale et de sérieux dans la complétion ne peuvent pas être écartés, même si nous avions ajouté un item afin de contrôler l’attention des personnes interrogées. Une telle enquête pourrait être associée à des entretiens semi-directifs afin de mieux évaluer la représentation précise que les personnes ont des différentes formes d’EI.
Il serait également intéressant d’examiner plus précisément l’écart perçu entre une forme d’EI et la prescription androcentrique. Nous suggérons que plus une forme d’EI est perçue comme transgressive par rapport à la norme androcentrique, donc par rapport à la domination masculine, plus elle sera dépréciée et moins elle sera associée à du prestige. Enfin, en accord avec Abbou (2017), il est possible que des problèmes de lisibilité et des difficultés techniques soient à l’origine des perceptions des variantes d’EI. Dans de futures recherches, il pourrait être pertinent de questionner cette hypothèse plus pragmatique basée sur la perception d’une plus grande facilité ou rapidité d’écriture, ou lisibilité, associées à certaines formes d’EI (Abbou, 2017) dans l’appréciation que les individus en ont. On ne peut toutefois pas exclure que les difficultés techniques mentionnées servent de justifications « acceptables », car apparemment pas idéologiques, au rejet de l’EI et au maintien du statu quo de genre.
Conclusion
Même si les résultats de la présente étude doivent être répliqués auprès d’une population plus large et plus diversifiée, ils permettent de proposer quelques pistes d’exploration futures dans le but de favoriser l’utilisation de l’EI et une meilleure visibilité des femmes dans le langage. En effet, en montrant que la plus forte intention des femmes par rapport aux hommes à utiliser l’EI est due à leurs attitudes moins négatives ou plus neutres envers cette écriture, ces résultats semblent attester non seulement que les hommes ont plus à perdre que les femmes si l’EI devient la norme mais aussi que les femmes sont plus favorables (ou moins défavorables) que les hommes à une évolution de la langue qui leur est bénéfique. Les résultats plus exploratoires — à prendre avec précaution en raison de l’échantillon - observés sur l’appréciation des différentes formes d’EI alertent aussi sur le désir de maintien du statu quo dans les relations de genre chez les femmes et les hommes, même s’il apparaît plus fort chez les hommes (Douglas & Sutton, 2014 ; Jost & Kay, 2005 ; Parks & Roberton, 2004). Il pourrait dès lors être pertinent de jouer sur les normes négatives qui sont plus fortes chez les hommes que chez les femmes. Il faudrait réfléchir à des contextes susceptibles de réduire leur influence, autrement dit des contextes minimisant les prescriptions culturelles et la saillance des stéréotypes de genre. Par exemple, les contextes qui soulignent la désirabilité sociale d’être égalitaire en matière de genre peuvent inciter les individus à corriger un biais androcentrique (Crandall et al., 2002 ; Plant & Devine, 1998) et dès lors à apprécier d’autres formes d’EI que le doublet « classique » qui ne semble que peu remettre en cause l’androcentrisme. C’est un axe de recherche pour de futures études, particulièrement pertinent lorsque le contexte institutionnel alimente les prescriptions négatives.
Financements
Ce travail est financé par l’ANR SCOPIL 23-CE28-0012.
Conflits d’intérêts
Aucun conflit d’intérêt déclaré.